Langue du document : ECLI:EU:C:2017:108

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 9 février 2017 (1)

Affaire C‑578/16 PPU

C. K.,

H. F.,

A. S.

contre

Republika Slovenija

[demande de décision préjudicielle formée par le Vrhovno sodišče (Cour Suprême, Slovénie)]

« Renvoi préjudiciel – Notion de juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne – Système européen commun d’asile – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 – Article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa – Défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de l’État membre responsable – Article 17, paragraphe 1 – Clause de souveraineté »






I.      Introduction

1.        Le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (2). Ce règlement cherche, comme ses prédécesseurs (3), d’une part, à éviter que les ressortissants de pays tiers puissent, en introduisant une demande de protection internationale dans plusieurs État membres, choisir l’État membre qui examinera leur demande (phénomène de « forum shopping ») et, d’autre part, à garantir que toute demande sera effectivement examinée par un État membre (4). À cette fin, le règlement no 604/2013 prévoit que chaque demande est examinée par un seul État membre et énonce les critères qui permettent de déterminer quel État membre doit être désigné comme responsable de l’examen de la demande (5).

2.        Qu’advient-il si, lorsqu’un État membre a été désigné comme responsable en application des critères énoncés par le règlement no 604/2013, il est allégué que cet État membre ne respecte pas les droits fondamentaux des demandeurs d’asile ? Certes, les États membres garantissent le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont énoncés, non seulement par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), mais également par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et par la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 (6) (ci-après la « convention de Genève »). Néanmoins, il ne peut être exclu qu’une situation se présente où un État membre viole un droit fondamental des demandeurs d’asile. Le règlement no 604/2013 prend en compte une telle hypothèse. Son article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, prévoit en effet qu’il est impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable lorsqu’il existe, dans cet État membre, des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

3.        Or, qu’en est-il si les défaillances, sans affecter le système d’asile tout entier de l’État membre responsable, concernent uniquement la situation particulière d’un demandeur ? Ces défaillances peuvent-elles être qualifiées de « systémiques » au sens de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 ? Si elles ne le peuvent pas, donnent-elles néanmoins naissance à une obligation de ne pas transférer le demandeur vers l’État membre responsable ? Telles sont les questions auxquelles la Cour est appelée à répondre dans la présente affaire.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit international

4.        L’article 3 de la CEDH dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

5.        L’article 33 de la convention de Genève prévoit :

« 1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».

B.      Le droit de l’Union

1.      La Charte

6.        L’article 4 de la Charte dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

7.        L’article 19, paragraphe 2, de la Charte prévoit :

« Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

2.      Le règlement no 604/2013

8.        L’article 3, paragraphe 2, du règlement no 604/2013, intitulé « Accès à la procédure d’examen d’une demande de protection internationale », dispose :

« Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen.

Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la [Charte], l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. »

9.        L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013, intitulé « Clauses discrétionnaires », prévoit :

« Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique « DubliNet » établi au titre de l’article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, l’État membre antérieurement responsable, l’État membre menant une procédure de détermination de l’État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge.

L’État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l’indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) no 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d’examiner la demande a été prise. »

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

10.      Mme C. K., ressortissante syrienne, et son mari, M. H. F., ressortissant égyptien, sont entrés sur le territoire des États membres par la Croatie, le 16 août 2015. Ils étaient en possession de visas touristiques délivrés par la Croatie, qui étaient valides du 6 août 2015 au 28 août 2015.

11.      Le 17 août 2015, Mme C. K., qui était enceinte de six mois, et M. H. F. sont entrés en Slovénie avec de fausses pièces d’identité grecques. Ils s’y trouvent actuellement et sont hébergés au centre d’accueil des demandeurs d’asile de Ljubljana.

12.      Le 20 août 2015, Mme C. K. et M. H. F. ont introduit des demandes de protection internationale en Slovénie. Il ressort des observations du gouvernement slovène que, le même jour, un médecin a examiné Mme C. K. et a constaté que la grossesse se déroulait normalement, qu’elle n’avait pas de symptômes psychologiques manifestes et qu’elle était communicative. M. H. F. a également, le même jour, été examiné par un médecin, qui l’a trouvé en bonne santé (7).

13.      Le 28 août 2015, les autorités slovènes ont interrogé les autorités croates. Le 14 septembre 2015, la République de Croatie a répondu qu’elle était responsable de l’examen de la demande de Mme C. K. et de M. H. F.

14.      Le 20 novembre 2015, Mme C. K. a donné naissance à un garçon, A. S. Le 27 novembre 2015, une demande de protection internationale a été introduite en Slovénie pour A. S. Les autorités slovènes ont traité cette demande avec celles introduites par Mme C. K. et M. H. F.

15.      Le 18 janvier 2016, les autorités slovènes ont reçu du représentant des requérants des avis médicaux attestant de la grossesse à risque de Mme C. K., ainsi que de ses difficultés après l’accouchement. Parmi ces documents figurait une évaluation psychiatrique de Mme C. K., en date du 4 décembre 2015, indiquant que celle-ci et son nouveau-né devaient rester au centre d’accueil parce qu’ils avaient besoin de soins. D’autres évaluations psychiatriques, en date des 1er avril, 15 avril, 22 avril et 13 mai 2016, indiquent que Mme C. K. souffre, depuis son accouchement, d’une dépression et de tendances suicidaires périodiques, lesquelles seraient dues à l’incertitude de son statut.

16.      En raison de la présence, notamment, d’un enfant en bas âge, les autorités slovènes ont demandé à leurs homologues croates des assurances quant aux soins médicaux dont bénéficierait la famille au centre d’hébergement en Croatie. Le 7 avril 2016, elles ont reçu l’assurance que Mme C. K., M. H. F. et leur enfant bénéficieraient, en Croatie, d’un hébergement, de soins adéquats et des traitements médicaux nécessaires (8).

17.      Par décision du 5 mai 2016 (ci-après la « décision du 5 mai 2016 »), les autorités slovènes ont refusé d’examiner les demandes de protection internationale de Mme C. K., M. H. F. et M. A. S. Cette décision est fondée sur l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 604/2013, selon lequel, si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

18.      Par arrêt du 1er juin 2016, l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie) a annulé la décision du 5 mai 2016. Par ordonnance du même jour, il a suspendu l’exécution de la décision du 5 mai 2016 jusqu’à l’adoption d’une décision définitive dans le litige administratif.

19.      Par arrêt du 29 juin 2016, le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie) a réformé l’arrêt de l’Upravno sodišče (Tribunal administratif) et confirmé la décision du 5 mai 2016. Le Vrhovno sodišče (Cour suprême) a notamment considéré que l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 n’était pas applicable. En effet, l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Croatie n’était établie par aucun rapport des institutions de l’Union européenne ou du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il ressortait au contraire d’un rapport de ce Haut-Commissariat que la situation en Croatie est bonne, notamment que les conditions d’accueil des réfugiés au centre de Kutina, en Croatie, sont bonnes. Ce centre, destiné aux groupes vulnérables de demandeurs d’asile, peut accueillir jusqu’à cent demandeurs mais n’en héberge habituellement que vingt à trente. Un accès aux soins y est garanti (un médecin y vient une fois par semaine, ainsi qu’un gynécologue) et, en cas d’urgence, les demandeurs d’asile ont accès à l’hôpital local de Kutina ou à celui de Zagreb. Un travailleur social est présent chaque jour au centre de Kutina et une aide juridique y est proposée deux fois par mois.

20.      Les requérants ont introduit devant l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle, Slovénie) une plainte constitutionnelle dirigée contre l’arrêt rendu le 29 juin 2016 par le Vrhovno sodišče (Cour suprême), entretemps passé en force de chose jugée.

21.      Par décision du 28 septembre 2016, l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) a annulé l’arrêt du Vrhovno sodišče (Cour suprême) et a renvoyé l’affaire à celui-ci.

22.      Dans sa décision du 28 septembre 2016, l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) a approuvé le Vrhovno sodišče (Cour suprême) d’avoir considéré que l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 n’était pas applicable, dès lors qu’il n’existe pas en Croatie de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte. Toutefois, l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) n’en a pas pour autant conclu que les requérants pouvaient être transférés vers la Croatie. En effet, il a considéré que, afin de déterminer si la présomption selon laquelle la République de Croatie est un État sûr était renversée, les autorités slovènes devaient tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment de la situation personnelle et de l’état de santé des demandeurs. Or, le Vrhovno sodišče (Cour suprême), s’il a apprécié si Mme C. K. et son nouveau-né bénéficieront de soins de santé adéquats en Croatie, n’a pas vérifié si le transfert lui-même serait susceptible d’avoir une incidence sur l’état de santé de Mme C. K. et de son nouveau-né. C’est ce qui motive l’annulation de l’arrêt du Vrhovno sodišče (Cour suprême) et le renvoi de l’affaire devant celui-ci, afin qu’il examine toutes les circonstances pertinentes.

23.      Le Vrhovno sodišče (Cour suprême), devant lequel l’affaire est pendante, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)  L’interprétation des règles relatives à l’application de la clause discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement [n° 604/2013] appartient-elle, eu égard à la nature de cette disposition, en dernier ressort à la juridiction de l’État membre et ces règles libèrent elles la juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours de l’obligation de soumettre l’affaire à la Cour de justice en vertu de l’article 267, troisième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?

À titre subsidiaire, si la réponse à la première question est négative :

2)      L’appréciation des circonstances au titre de l’article 3, paragraphe 2, du règlement [n° 604/2013] (dans un cas comme celui objet du renvoi) suffit-elle pour satisfaire aux exigences de l’article 4 et de l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en combinaison avec l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 33 de la convention de Genève ?

En liaison avec cette question :

3)      Découle-t-il de l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, du règlement [n° 604/2013] que l’application de la clause discrétionnaire par l’État membre est obligatoire aux fins d’assurer une protection effective contre une violation des droits au titre de l’article 4 de la [Charte] dans des cas comme celui objet du présent renvoi et que cette application interdit le transfert du demandeur de protection internationale vers l’État membre compétent qui a admis sa compétence conformément à ce règlement ?

Si la réponse à la troisième question est positive :

4)      La clause discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement [n° 604/2013] peut-elle servir de base permettant au demandeur de protection internationale ou à une autre personne dans une procédure de transfert en vertu de ce règlement d’invoquer son application que les autorités administratives compétentes et les juridictions de l’État membre doivent apprécier ou lesdites autorités administratives et juridictions sont-elles tenues d’établir d’office les circonstances citées ? »

24.      Le 1er décembre 2016, la Cour a décidé de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, en application de l’article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour (9). Les questions préjudicielles ont fait l’objet d’observations écrites de la part des requérants au principal, de la République de Slovénie et de la Commission européenne. Ces parties, ainsi que la République italienne et le Royaume-Uni, ont également été entendues lors de l’audience du 23 janvier 2017.

IV.    Analyse

A.      Sur la première question préjudicielle

25.      Par la première question, le juge de renvoi demande, en substance, à la Cour, premièrement, si la décision d’un État membre d’examiner lui-même une demande de protection internationale sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 relève du droit national ou du droit de l’Union et, deuxièmement, si, dans la seconde hypothèse, une juridiction statuant en dernier ressort a l’obligation d’interroger la Cour.

26.      Les parties (10) s’accordent sur le fait que l’exercice de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 relève du droit de l’Union.

27.      Concernant la deuxième partie de la question, les requérants au principal sont d’avis que l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) n’avait pas l’obligation d’interroger la Cour, dès lors, notamment, qu’il incombe à la seule juridiction nationale d’apprécier si l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. Le gouvernement slovène considère que, dès lors que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur les circonstances de l’exercice de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013, une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours en vertu du droit national est tenue d’interroger la Cour. La Commission affirme qu’il appartient aux juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne d’apprécier si elles sont en présence d’un acte clair ou si elles doivent interroger la Cour.

28.      Premièrement, j’estime que la décision d’un État membre d’exercer ou non la faculté que lui offre l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 d’examiner lui-même une demande d’asile alors que ce règlement ne le désigne pas comme responsable relève du droit de l’Union.

29.      En effet, l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 dispose qu’une demande de protection internationale est examinée par l’État membre que les critères énoncés au chapitre III de ce règlement désignent comme responsable de cet examen. L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 prévoit que, par dérogation à son article 3, paragraphe 1, l’État membre auquel est présentée une demande « peut décider » de l’examiner lui-même, alors même que les critères énoncés par ce règlement ne le désignent pas comme responsable. Cet État membre dispose donc d’un pouvoir d’appréciation pour décider d’exercer ou non la faculté d’examen que lui confère l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013.

30.      Or, il ne saurait être considéré que l’exercice, par un État membre, du pouvoir d’appréciation dont il dispose pour décider d’examiner ou non une demande, échappe au champ d’application du droit de l’Union. Ainsi que l’a jugé la Cour dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 65 à 69), l’État membre qui prend la décision d’examiner lui-même une demande devient l’État membre responsable de cet examen au sens du règlement no 604/2013 et doit en informer le ou les autres États membres concernés. L’exercice du pouvoir d’appréciation conféré aux États membres par cette disposition fait donc partie du mécanisme de détermination de l’État membre responsable. Dès lors, la décision par laquelle un État membre décide d’exercer ou non la faculté que lui ouvre l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 relève du droit de l’Union.

31.      Deuxièmement, concernant l’obligation d’une juridiction statuant en dernier ressort d’interroger la Cour, il est difficile de déterminer, à la lecture de la première question préjudicielle, si le juge de renvoi demande à la Cour si l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) était tenu de la saisir, ou si lui-même y est tenu. En effet, la première question fait simplement référence à la « juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours », sans la nommer. Cependant, il me semble que le juge de renvoi cherche avant tout à clarifier ses propres obligations, en raison du fait, d’une part, qu’il n’a pas interrogé la Cour avant de prononcer l’arrêt du 29 juin 2016 et, d’autre part, qu’il l’interroge à présent bien que la juridiction supérieure, à savoir l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle), n’ait pas elle-même interrogé la Cour. Par conséquent, j’examinerai ci-dessous si le Vrhovno sodišče (Cour suprême) est tenu d’interroger la Cour sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013. Tel est, à mon avis, le cas.

32.      À cet égard, je rappelle qu’une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu’elle n’ait constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (11).

33.      En premier lieu, à mon avis, la circonstance qu’une plainte constitutionnelle puisse être formée à l’encontre des arrêts du Vrhovno sodišče (Cour suprême) n’ôte pas à celle-ci la qualité de juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE. En effet, dans l’arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 72), la Cour a jugé que la possibilité d’introduire, devant la juridiction constitutionnelle slovaque, un recours contre les décisions du Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque), « limité à l’examen d’une éventuelle violation des droits et libertés garantis par la Constitution nationale ou par une convention internationale », ne permet pas de considérer que le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) ne peut être qualifié de juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE. Le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) était, « en tant que cour suprême », « tenu de saisir la Cour ». Il en va de même du Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie). En effet, une plainte constitutionnelle ne peut être introduite à l’encontre de ses arrêts que pour violation des droits et libertés fondamentaux du requérant.

34.      En deuxième lieu, peu importe que le Vrhovno sodišče (Cour suprême) soit, en vertu du droit national, lié par l’interprétation donnée par l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, et de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013. En effet, dans l’arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 68), la Cour a jugé qu’une règle de droit national, en vertu de laquelle les appréciations portées par une juridiction supérieure, en l’espèce l’Ústavný súd Slovenskej republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque), lient une autre juridiction nationale, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême), ne saurait enlever à cette dernière la faculté de saisir la Cour de questions d’interprétation du droit de l’Union concerné par de telles appréciations en droit. Or, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême) est, nous l’avons vu au point précédent, une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFEU. Dès lors, le Vrhovno sodišče (Cour suprême) n’est, pas plus que le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême), délié de son obligation d’interroger la Cour par la règle de droit interne qui le lie à l’interprétation donnée par la juridiction constitutionnelle nationale, a fortiori si celle-ci a, comme en l’espèce, omis d’interroger la Cour.

35.      En troisième lieu, concernant la question de savoir si l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 doit être considéré comme un acte clair qui délierait le Vrhovno sodišče (Cour suprême) de son obligation d’interroger la Cour, je relève, d’une part, qu’il incombe à la seule juridiction nationale d’apprécier si l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (12) et, d’autre part, qu’il ressort clairement de la décision de renvoi que le Vrhovno sodišče (Cour suprême) considère, au vu de la décision prononcée le 28 septembre 2016 par l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle), que l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 n’est pas un acte clair (13).

36.      Il convient donc de répondre à la première question que la décision par laquelle un État membre décide d’exercer la faculté que lui confère l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 relève du droit de l’Union. Une juridiction nationale, telle que la juridiction de renvoi, doit être regardée comme une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE lorsque la possibilité d’introduire, devant la juridiction constitutionnelle de l’État membre concerné, un recours contre ses décisions est limité à l’examen d’une éventuelle violation des droits et libertés fondamentaux. Peu importe, à cet égard, que, en vertu du droit national, cette juridiction nationale soit liée par les appréciations portées par la juridiction constitutionnelle.

B.      Sur la deuxième question préjudicielle

37.      Par la deuxième question, le juge de renvoi demande, en substance, si l’hypothèse envisagée à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013, à savoir l’existence, dans l’État membre désigné comme responsable, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, est la seule hypothèse dans laquelle il est impossible de transférer le demandeur vers cet État membre. Il cherche à déterminer s’il existe d’autres hypothèses dans lesquelles il est impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable, à savoir lorsque, en raison de l’état de santé du demandeur, le transfert lui-même constitue un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte. En d’autres termes, le juge de renvoi demande à la Cour si, lorsque des défaillances affectant la situation particulière du demandeur entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, il est possible de transférer celui-ci.

38.      Je précise que, dans la procédure au principal, tant le Vrhovno sodišče (Cour suprême), dans son arrêt du 29 juin 2016, que l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle), dans sa décision du 28 septembre 2016, ont considéré qu’il n’existait pas en Croatie de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte. Cependant, à la différence du Vrhovno sodišče (Cour suprême), l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) n’en a pas conclu qu’il était possible de transférer les requérants au principal vers la Croatie. En effet, il a considéré que la présomption selon laquelle les États membres respectent les droits fondamentaux des demandeurs peut être renversée, non seulement lorsqu’il existe dans l’État membre responsable des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013, mais également lorsque l’État membre responsable ne respecte pas ses obligations au titre de l’article 3 de la CEDH ou de l’article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève. Cette dernière hypothèse couvrirait des situations qui échappent à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013. Par conséquent, afin de déterminer s’il était possible de transférer un demandeur vers l’État membre responsable, il incombait aux autorités compétentes de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment de la situation personnelle des demandeurs et de leur état de santé. Or, le Vrhovno sodišče (Cour suprême) n’avait pas vérifié si le transfert aurait une incidence sur l’état de santé de Mme C. K. et son enfant. Dès lors, l’arrêt rendu le 29 juin 2016 par le Vrhovno sodišče (Cour suprême) devait être annulé et l’affaire renvoyée à celui-ci afin qu’il apprécie, au regard de la situation personnelle de Mme C. K. et de son enfant, s’il était possible de les transférer vers la Croatie.

39.      Les requérants au principal, ainsi que le gouvernement italien, sont d’avis que l’hypothèse envisagée à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 n’est pas la seule hypothèse où il est impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable. Le gouvernement slovène, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission soutiennent la thèse inverse. À cet égard, la Commission souligne que la présomption de respect par chaque État membre des droits fondamentaux des demandeurs, sur laquelle repose le règlement no 604/2013, ne peut être renversée que dans des situations tout à fait exceptionnelles. De telles situations seraient caractérisées en présence de défaillances systémiques. De l’avis de la Commission, les défaillances systémiques s’entendent également des défaillances affectant les soins de santé et la prise en charge des personnes particulièrement vulnérables, ainsi que de la durée déraisonnable de la procédure administrative et/ou judiciaire. En l’espèce, l’existence de défaillances systémiques en Croatie ne serait pas établie. Quant à l’état de santé de Mme C. K., il ne serait, selon la Commission, pas suffisamment critique pour justifier, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH, une impossibilité de transfert.

40.      Je présenterai ci-dessous l’hypothèse dans laquelle, aux termes de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013, il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre responsable, puis l’hypothèse, plus large, dans laquelle la Cour EDH interdit aux États de transférer le demandeur. J’indiquerai ensuite pourquoi il convient, selon moi, de restreindre l’obligation de ne pas transférer le demandeur à la seule hypothèse visée à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013.

1.      L’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 : prise en compte des seules défaillances « systémiques »

41.      Je rappelle que l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 prévoit que, après qu’un État membre a été désigné comme responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en application des critères énoncés au chapitre III de ce règlement, le demandeur ne peut pas être transféré vers cet État membre « parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la [C]harte ».

42.      Or, ni le règlement no 604/2013 ni la jurisprudence de la Cour ne définissent les « défaillances systémiques ».

43.      À mon avis, les défaillances « systémiques » ne peuvent s’entendre que des défaillances affectant le système d’asile lui-même de l’État membre responsable, qu’il s’agisse des règles de droit qui composent ce système ou de leur application pratique. Je précise que ces défaillances doivent être graves, puisque, dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 84 et 85), la Cour a exclu que « la moindre violation » ou « des violations mineures » des directives en matière d’asile (14) constituent des défaillances systémiques. De telles défaillances doivent être établies au moyen d’éléments de preuve sérieux et concordants, notamment de rapports réguliers et concordants d’organisations non gouvernementales internationales, du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et des institutions de l’Union (15). Surtout, dès lors que les défaillances doivent se rapporter au système d’asile lui-même, toute prise en compte de défaillances qui affecteraient la situation particulière d’un demandeur est exclue. L’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 n’impose donc pas aux États membres d’effectuer un examen au cas par cas afin de déterminer si le demandeur en cause risque d’être soumis à un traitement inhumain ou dégradant dans l’État membre responsable (16).

44.      L’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 est une codification de l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865). Dans cet arrêt, la Cour, statuant en grande chambre, a relevé que, s’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’asile dans chaque État membre est conforme aux exigences de la Charte, il ne saurait être exclu que le système européen commun d’asile rencontre des difficultés majeures de fonctionnement dans un État membre déterminé. Tel serait le cas en présence de défaillances systémiques impliquant un traitement inhumain ou dégradant (17). La Cour en a déduit que les États membres sont tenus de ne pas transférer un demandeur vers l’État membre responsable « lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la [C]harte » (18).

45.      Or, dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), l’État membre responsable était la République hellénique. Il ne faisait aucun doute que, dans cet État membre, les défaillances affectaient le système d’asile lui-même. La Grèce avait en effet, onze mois auparavant, fait l’objet d’une condamnation par la Cour EDH pour avoir infligé des traitements inhumains et dégradants aux demandeurs d’asile (19). En revanche, selon le juge de renvoi, il n’existe pas en Croatie de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 (20). Dès lors, c’est uniquement au regard de la situation particulière des requérants au principal que les autorités slovènes se verraient, le cas échéant, dans l’impossibilité de les transférer vers la Croatie. Or, si l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 exclut tout examen de la situation particulière des demandeurs, en revanche, l’article 3 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour EDH, exige un tel examen.

2.      La position de la Cour EDH : prise en compte de la situation particulière du demandeur

46.      Dans son arrêt du 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse (CE:ECHR:2014:1104JUD 002921712) (21), la Cour EDH, citant l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), rappelle la présomption selon laquelle les États membres respectent les droits fondamentaux des demandeurs d’asile. Elle relève ensuite que, afin de déterminer si cette présomption est renversée, « l’origine du risque encouru » est indifférente. Que le risque de traitements inhumains et dégradants ait ou non son « origine » dans l’existence de défaillances systémiques de l’État membre concerné est indifférent. L’État membre qui doit effectuer le transfert est tenu « d’examiner de manière approfondie et individualisée la situation de la personne objet de la mesure et de surseoir au traitement au cas où le risque de traitements inhumains ou dégradants serait avéré » (22). En l’espèce, le requérant devait être transféré vers l’Italie. La Cour EDH est d’avis que, bien que la situation générale en Italie ne constitue pas un obstacle au transfert, « l’hypothèse qu’un nombre significatif de demandeurs d’asile renvoyés vers ce pays soient privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d’insalubrité ou de violence, n’est pas dénuée de fondement ». Par conséquent, la Cour EDH exige des autorités suisses que, avant de transférer les demandeurs vers la République italienne, elles obtiennent de cet État une « garantie individuelle » que ceux-ci y seront accueillis dans des conditions conformes aux exigences de l’article 3 de la CEDH (23).

47.      En d’autres termes, là où la Cour de justice exige, pour interdire le transfert d’un demandeur vers l’État membre responsable, des défaillances « systémiques » de cet État membre, la Cour EDH se contente de défaillances affectant la situation particulière du demandeur.

3.      Les « défaillances systémiques », seule hypothèse où le transfert est impossible

48.      L’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 s’oppose-t-il à ce qu’une obligation de ne pas transférer le demandeur soit reconnue dans une autre hypothèse que celle qu’il envisage, à savoir en présence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de l’État membre responsable ?

49.      Il me semble qu’il s’y oppose.

50.      Il est vrai que rien, dans la lettre de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013, ne suggère que l’hypothèse qu’il envisage, à savoir l’existence de défaillances systémiques, soit la seule hypothèse où il est impossible de transférer le demandeur. En effet, cette disposition prévoit qu’« il est impossible de transférer le demandeur […] parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques ». Il est donc permis de penser que l’impossibilité de transfert peut avoir d’autres causes que les défaillances systémiques. En outre, il est possible que, dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), la Cour n’ait pas entendu exiger que les défaillances soient systémiques pour qu’il soit impossible de transférer le demandeur, mais qu’elle n’ait simplement pas envisagé la question. Dès lors que les défaillances étaient, dans cette affaire, incontestablement systémiques, il était inutile qu’elle s’interroge sur les conséquences de défaillances affectant la seule situation du demandeur.

51.      Toutefois, l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 ne saurait, à mon avis, être interprété en ce sens. En premier lieu, une telle interprétation me semble peu compatible avec le principe de confiance mutuelle, sur lequel repose le système européen commun d’asile. À cet égard, je relève que, aux termes du considérant 3 du règlement no 604/2013, « les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers ». Dès lors, le principe de confiance mutuelle, qui est la pierre angulaire de l’espace, de liberté, de sécurité et de justice (24), impose aux États membres de « considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit » (25). Or, exiger des États membres que, avant de transférer un demandeur vers l’État membre responsable, ils vérifient qu’il n’existe, dans cet État membre, aucune défaillance affectant la situation particulière de ce demandeur, reviendrait à exiger des États membres qu’ils vérifient systématiquement le respect, par l’État membre responsable, des droits fondamentaux des demandeurs d’asile. Imposer une telle obligation compromettrait, non seulement le principe de confiance mutuelle, mais également l’effet utile du règlement no 604/2013 et le mécanisme de détermination rapide de l’État membre responsable que, conformément à son considérant 5, il met en place (26).

52.      En deuxième lieu, il me semble impossible de considérer que, dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), la Cour n’ait pas envisagé l’hypothèse de défaillances affectant le seul demandeur, dès lors que l’expression de « défaillances systémiques » ne figure pas dans les conclusions de l’avocat général Trstenjak (27).

53.      En troisième lieu, je rappelle que la Cour n’est nullement tenue de suivre la position de la Cour EDH. Il est vrai que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que, lorsque la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, « leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère la [CEDH] ». Selon les explications relatives à la Charte, « le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte [de la Charte et de ses protocoles], mais aussi par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de justice de l’Union européenne » (28). Toutefois, il n’en reste pas moins que, comme le relève l’avocat général Trstenjak, « il serait erroné d’appliquer la [Charte] en se fondant sur la jurisprudence de Strasbourg comme étant une source d’interprétation dotée d’une valeur absolue » (29).

54.      En quatrième lieu, je relève que, dans l’arrêt du 10 décembre 2013, Abdullahi (C‑394/12, EU:C:2013:813, point 60), la Cour a interprété l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 343/2003, selon lequel une décision de transfert peut faire l’objet d’un recours, en ce sens que, lorsqu’un État membre a été désigné comme responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en application d’un critère énoncé par le règlement no 343/2003 (30), le demandeur « ne peut mettre en cause le choix de ce critère qu’en invoquant l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs dans cet État membre qui constituent des motifs sérieux et avérés de croire que ce demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte » (31). En d’autres termes, l’État membre désigné comme responsable en application des critères énoncés par le règlement no 604/2013 échappe à sa responsabilité dans une seule hypothèse, celle où sa procédure d’asile et ses conditions d’accueil présentent des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement. Il n’y échappe donc pas si des défaillances n’affectent que la situation particulière du demandeur.

55.      Il est vrai que, dans l’arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409, point 61), la Cour a jugé qu’« un demandeur d’asile peut invoquer, dans le cadre d’un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l’application erronée d’un critère de responsabilité énoncé au chapitre III [du] règlement [no 604/2013] ». Cependant, je souligne que, dans cette affaire, le demandeur n’alléguait pas qu’il courait le risque d’être soumis, dans l’État membre responsable, à un traitement inhumain ou dégradant (32). La Cour ne s’est donc pas prononcée sur ce point. Par conséquent, il ne peut être déduit de l’arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409), que l’existence de défaillances systémiques dans l’État membre responsable n’est pas la seule hypothèse où cet État membre échappe à sa responsabilité et où le demandeur ne peut être transféré vers cet État membre.

56.      J’estime donc que l’existence de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 est la seule hypothèse où il est impossible de transférer le demandeur. À mon sens, il n’est pas impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable lorsque des défaillances affectant la situation particulière de celui-ci constituent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

57.      En l’espèce, les requérants au principal soutiennent que le transfert de Mme C. K. et de son enfant vers la Croatie entraîne, au vu de leur état de santé, un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte. Or, examiner si le transfert est susceptible d’avoir une incidence sur l’état de santé de Mme C. K. et de son enfant reviendrait à tenir compte de la situation particulière de ceux-ci, ce qui, nous l’avons vu, serait contraire à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013. En tout état de cause, je relève que, en l’espèce, les autorités slovènes ont obtenu de leurs homologues croates l’assurance que les requérants au principal bénéficieraient d’un hébergement, de soins adéquats et des traitements médicaux nécessaires.

58.      Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 s’oppose à ce que l’État membre qui procède à la détermination de l’État membre responsable soit tenu de ne pas transférer le demandeur vers cet État membre dans une autre hypothèse que celle envisagée par cet article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, à savoir lorsqu’il existe, dans l’État membre responsable, des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte. En particulier, il n’est pas impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable lorsque le transfert lui-même entraîne un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

C.      Sur la troisième question préjudicielle

59.      La troisième question est posée dans l’éventualité où la Cour estimerait, en réponse à la deuxième question, que l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 ne s’oppose pas à ce que les États membres soient tenus de ne pas transférer le demandeur dans d’autres hypothèses que celle qu’il envisage. Par sa troisième question, le juge de renvoi demande si l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre est tenu de ne pas transférer un demandeur vers l’État membre responsable, il doit exercer la faculté que cette disposition lui ouvre et examiner lui-même la demande de protection internationale.

60.      Eu égard à la réponse que je propose de donner à la deuxième question, j’estime qu’il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question. Toutefois, à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas mon analyse de la deuxième question, je vais examiner la troisième question.

61.      Les requérants au principal soutiennent que l’exercice de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 est obligatoire lorsque le demandeur court un risque sérieux d’être soumis, dans l’État membre responsable, à un traitement inhumain ou dégradant. Les gouvernements slovène, italien et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, sont d’avis que l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 ne saurait fonder une telle obligation.

62.      L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 ne saurait, à mon avis, fonder une obligation d’examiner une demande de protection internationale lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable.

63.      En effet, en premier lieu, une telle interprétation irait à l’encontre de la lettre même de cette disposition. Celle-ci constitue, comme l’indique l’intitulé de l’article 17 du règlement no 604/2013, une « clause discrétionnaire ». Le paragraphe 1 de cet article prévoit expressément que l’État membre auquel est présentée une demande « peut décider » de l’examiner même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement.

64.      En deuxième lieu, dans l’arrêt du 14 novembre 2013, Puid (C‑4/11, EU:C:2013:740, point 37), la Cour a jugé que « l’impossibilité de transférer un demandeur d’asile vers l’État membre initialement désigné comme responsable n’implique pas, en tant que telle, que l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable soit tenu d’examiner lui-même la demande d’asile sur le fondement de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 343/2003 » (qui correspond à l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013). De même, dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 96), la Cour a jugé que, en cas d’impossibilité de transférer un demandeur, l’examen de la demande par l’État membre qui devait effectuer le transfert est une simple « faculté ». Enfin, à propos du paragraphe 2 de cet article 17, lui aussi placé sous l’intitulé « clauses discrétionnaires », la Cour a jugé qu’il s’agissait d’« une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux États membres » (33).

65.      En troisième lieu, l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 a été qualifié de « clause de souveraineté » (34). Dans l’arrêt du 30 mai 2013, Halaf (C‑528/11, EU:C:2013:342, point 37), la Cour s’est référée à la proposition de la Commission ayant conduit à l’adoption du règlement no 343/2003, laquelle « précise que la règle figurant à l’article 3, paragraphe 2, du règlement a été introduite afin de permettre à chaque État membre de décider souverainement, en fonction de considérations politiques, humanitaires ou pratiques, d’accepter d’examiner une demande d’asile ». Dès lors, faire de l’application de cette disposition une obligation pour l’État membre concerné serait paradoxal.

66.      En quatrième lieu, je relève que, dans sa proposition de modification du règlement no 604/2013 (35), la Commission cherche à restreindre la faculté même d’appliquer la clause de souveraineté. En effet, l’article 19, paragraphe 1, de la proposition de la Commission dispose que « chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride pour des motifs familiaux en rapport avec la présence de membres de la famille élargie non couverts par l’article 2, point g) » (à savoir le conjoint ou le partenaire du demandeur, ses enfants mineurs, ses père et mère s’il est mineur) (36). Si même la faculté d’examiner la demande sur la base de la clause de souveraineté est limitée, il n’est pas question d’en faire une obligation (37).

67.      Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013, ne peut être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre est tenu de ne pas transférer un demandeur vers l’État membre responsable, il doit examiner lui-même la demande de protection internationale qui lui est présentée même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement.

D.      Sur la quatrième question préjudicielle

68.      La quatrième question est posée dans l’éventualité où la Cour estimerait, en réponse à la troisième question, que, lorsqu’un État membre est tenu de ne pas transférer le demandeur vers l’État membre responsable, il doit examiner lui-même la demande sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013. Par sa quatrième question, le juge de renvoi demande à la Cour si les autorités administratives et judiciaires compétentes de l’État membre qui doit effectuer le transfert sont tenues d’appliquer d’office l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013.

69.      Eu égard à la réponse que je propose de donner à la troisième question, je considère qu’il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question. Toutefois, à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas mon analyse de la troisième question, je vais examiner la quatrième question.

70.      Les requérants au principal soutiennent que, dès lors que le demandeur présente un « grief défendable » selon lequel son transfert vers l’État membre responsable l’exposerait à une violation de ses droits fondamentaux, les autorités administratives ou judiciaires compétentes ont l’obligation d’appliquer d’office l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013. Les gouvernements slovène et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, considèrent que les autorités judiciaires et administratives compétentes n’ont pas l’obligation d’appliquer cette disposition d’office. Ils soulignent que l’examen d’une demande de protection internationale sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 est une faculté pour l’État membre concerné, non un droit pour le demandeur.

71.      À cet égard, je rappelle que, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de les établir, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (38).

72.      En l’espèce, le règlement no 604/2013, s’il contient des dispositions procédurales (chapitres II et VI), ne dit rien de la faculté ou de l’obligation des autorités administratives et judiciaires d’examiner d’office si le demandeur court le risque d’être soumis, dans l’État membre responsable, à un traitement inhumain ou dégradant, auquel cas l’État membre qui effectue le transfert serait tenu d’examiner lui-même la demande de protection internationale. Dès lors, c’est au regard des principes d’équivalence et d’effectivité qu’il convient de déterminer si les autorités administratives et judiciaires nationales sont tenues d’examiner d’office le moyen tiré de la violation de l’article 4 de la Charte et de l’application de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013.

73.      Or, il ressort de la décision de renvoi que les requérants au principal ont pu, dès le stade de la procédure administrative, s’opposer à leur transfert vers la Croatie au motif que celui-ci les exposerait à un risque de traitement inhumain ou dégradant. Dès lors, il me semble que la question est hypothétique et, comme telle, irrecevable (39).

74.      Je propose donc de rejeter la quatrième question préjudicielle comme irrecevable.

V.      Conclusion

75.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie) :

À titre principal :

1)       La décision par laquelle un État membre décide d’exercer la faculté que lui confère l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte) relève du droit de l’Union.

2)       Une juridiction nationale, telle que la juridiction de renvoi, doit être regardée comme une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE lorsque la possibilité d’introduire, devant la juridiction constitutionnelle de l’État membre concerné, un recours contre ses décisions est limité à l’examen d’une éventuelle violation des droits et libertés fondamentaux. Peu importe, à cet égard, que, en vertu du droit national, cette juridiction nationale soit liée par les appréciations portées par la juridiction constitutionnelle.

3)       L’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 s’oppose à ce que l’État membre qui procède à la détermination de l’État membre responsable soit tenu de ne pas transférer le demandeur vers cet État membre dans une autre hypothèse que celle envisagée par cet article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, à savoir lorsqu’il existe, dans l’État membre responsable, des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte. En particulier, il n’est pas impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable lorsque le transfert lui-même entraîne un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

À titre subsidiaire :

4)       L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 ne peut être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre est tenu de ne pas transférer un demandeur vers l’État membre responsable, il doit examiner lui-même la demande de protection internationale qui lui est présentée même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement.

5)       La quatrième question préjudicielle est irrecevable.


1      Langue originale : le français.


2 JO 2013, L 180, p. 31.


3 Le règlement no 604/2013 a abrogé et remplacé le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des État membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1). Le règlement no 343/2003 a lui-même remplacé la convention relative à la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990 (JO 1997, C 254, p. 1). Parce que cette convention a été signée à Dublin, le règlement no 343/2003 est connu sous le nom « Dublin II », et le règlement no 604/2013 sous le nom « Dublin III ».


4 Hailbronner, K., et Thym, D., « Legal Framework for EU Asylum Policy », dans Hailbronner, K., et Thym, D., EU Immigration and Asylum Law. A Commentary, Beck – Hart – Nomos, 2016, p. 1024-1054 (p. 1024).


5 Article 3, paragraphe 1, du règlement no 604/2013.


6 Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967.


7 Ainsi qu’il ressort des observations du gouvernement slovène, non contredites par les requérants au principal.


8 Ainsi qu’il ressort des observations du gouvernement slovène, non contredites par les requérants au principal.


9 Je précise, à cet égard, que, en réponse à une demande d’éclaircissements de la Cour, le juge de renvoi a indiqué que l’exécution de la décision administrative du 5 mai 2016 n’est pas suspendue, et que c’est la raison pour laquelle la Cour a décidé de soumettre le présent renvoi à la procédure préjudicielle d’urgence. En revanche, l’affaire A. S. (C‑490/16, actuellement pendante devant la Cour), où la même juridiction – le Vrhovno sodišče (Cour suprême) – a saisi la Cour d’un renvoi préjudiciel en interprétation du règlement no 604/2013, n’a pas été soumise à la procédure préjudicielle d’urgence, malgré la demande formulée par le juge de renvoi. En effet, dans cette affaire A. S., la décision de transfert est suspendue.


10 Je précise toutefois que ni le gouvernement italien ni le gouvernement du Royaume-Uni n’ont présenté d’observations sur la première question préjudicielle.


11 Arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564, point 55).


12 Arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk (C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:564, point 58).


13 À cet égard, je précise que, selon la décision de renvoi, si le Vrhovno sodišče (Cour suprême) n’a pas interrogé la Cour avant d’adopter l’arrêt du 29 juin 2016, c’est qu’il considérait l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 comme un acte clair. Ce n’est qu’à la suite de la décision de l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle) du 28 septembre 2016, décision qui s’écarte de la jurisprudence et de la pratique administrative slovènes antérieures, que le juge de renvoi a eu des doutes sur l’interprétation de cette disposition.


14 Il s’agit de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9) ; de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), et de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).


15 Arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 91).


16 Voir Hruschka, C., et Maiani, F., « Dublin III Regulation (EU) No 604/2013 », dans Hailbronner, K., et Thym, D., EU Immigration and Asylum Law. A Commentary, Beck – Hart – Nomos, 2016, p. 1479 à 1605 (p. 1499).


17 Arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 80, 81 et 86).


18 Arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 94). Cet arrêt a été rendu sous l’empire, non du règlement no604/2013, mais de son prédécesseur, le règlement no 343/2003. Or, le règlement no 343/2003 était muet quant à l’impossibilité de transférer un demandeur vers un État membre où il risquait d’être soumis à un traitement inhumain ou dégradant. C’est donc sur le fondement de l’article 4 de la Charte que la Cour dégage, dans cet arrêt, une obligation de ne pas transférer.


19 Arrêt de la Cour EDH du 21 janvier 2011, M.S. S. c. Belgique et Grèce (CE:ECHR:2011:0121JUD003069609, § 233, 264 et 321).


20 Je rappelle, à cet égard, que toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national (arrêt du 16 septembre 1999, WWF e.a., C‑435/97, EU:C:1999:418, point 32).


21 Auquel la décision de renvoi fait référence.


22 Arrêt de la Cour EDH du 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse (CE:ECHR:2014:1104JUD002921712, § 103 et 104) (c’est moi qui souligne).


23 Arrêt de la Cour EDH du 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse (CE:ECHR:2014:1104JUD002921712, § 114, 115, et 120 à 122).


24 Conclusions de l’avocat général Bot dans les affaires Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:140, point 4).


25 Avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 191).


26 Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Puid (C‑4/11, EU:C:2013:244, points 61 et 62).


27 L’avocat général Trstenjak se contente d’exiger un « risque sérieux de violation des droits fondamentaux » que la Charte garantit aux demandeurs, sans rien dire du caractère systémique d’une telle atteinte aux droits fondamentaux des demandeurs (conclusions de l’avocat général Trstenjak dans les affaires jointes NS, C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:610, point 127).


28 JO 2007, C 303, p. 17.


29 Conclusions de l’avocat général Trstenjak dans les affaires jointes NS (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:610, point 146).


30 Il s’agissait du critère prévu à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 343/2003, qui prévoit la responsabilité de l’État membre dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un État tiers.


31 C’est moi qui souligne.


32 Conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:186, point 52).


33 Arrêt du 6 novembre 2012, K (C‑245/11, EU:C:2012:685, point 27).


34 Voir Hruschka, C., et Maiani, F., « Dublin III Regulation (EU) No 604/2013 », dans Hailbronner, K., et Thym, D., EU Immigration and Asylum Law. A Commentary, Beck – Hart – Nomos, 2016, p. 1479 à 1605 (p. 1534).


35 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride [COM(2016) 270 final].


36 C’est moi qui souligne. La Commission propose également de modifier le considérant 17 du règlement n° 604/2013 de manière à ce qu’il indique que l’usage de la clause de souveraineté « devrait être exceptionnel », parce qu’il déroge aux critères énoncés par le règlement no 604/2013 et risque de nuire à l’efficacité du système.


37 Je relève cependant que, dans la proposition de modification du règlement no 343/2003, la Commission avait déjà suggéré de modifier la clause de souveraineté afin qu’elle dispose que « chaque État membre peut, notamment pour des motifs humanitaires, décider d’examiner une demande […] même si cet examen ne lui incombe pas » (c’est moi qui souligne), mais qu’une telle proposition n’avait pas été suivie. Voir la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, du 3 décembre 2008, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale présentée dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Refonte) (COM(2008) 820 final).


38 Arrêt du 17 mars 2016, Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:175, point 24).


39 Arrêt du 13 mars 2014, Márquez Samohano (C‑190/13, EU:C:2014:146, point 35).