Language of document : ECLI:EU:C:2004:504

Conclusions

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 9 septembre 2004 (1)



Affaire C-460/02



Commission des Communautés européennes

contre

République italienne


«Manquement d'État – Directive 96/67/CE relative à l'accès au marché de l'assistance en escale dans les aéroports de la Communauté – Transposition incorrecte – Désistement partiel»






1.       Par le présent recours, la Commission des Communautés européennes entend faire constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 96/67/CE du Conseil, du 15 octobre 1996, relative à l'accès au marché de l'assistance en escale dans les aéroports de la Communauté  (2) (ci-après la «directive»).

2.       À l'appui de son recours, la Commission fait valoir que la République italienne a violé plusieurs dispositions de la directive, d'une part, en ce qu'elle a omis de fixer:

la période d'une durée maximale de sept années pour la sélection des prestataires de services d'assistance en escale, conformément à l'article 11, paragraphe 1, sous d) de la directive;

et d'autre part, en ce qu'elle a adopté notamment deux dispositions nationales contraires à la directive:

une mesure sociale incompatible avec l'article 18 de la directive;

des dispositions de caractère transitoire non autorisées par la directive.

I –   Le cadre juridique

A –   La réglementation communautaire

3.       Conformément au cinquième considérant de la directive, la finalité de celle-ci est l'ouverture de l'accès au marché de l'assistance en escale, dans tous les aéroports situés sur le territoire d'un État membre  (3) , pour permettre la réduction des coûts d'exploitation des compagnies aériennes et l'amélioration de la qualité offerte aux usagers. Ce libre accès doit se réaliser de façon progressive  (4) .

4.       Dans le cadre de l'ouverture de l'accès au marché de l'assistance en escale, les États membres, tout en respectant l'objectif de la directive, peuvent prévoir des mesures pour assurer le respect des contraintes de sûreté, de sécurité, les exigences de la protection de l'environnement et de la garantie du niveau adéquat de protection sociale  (5) .

5.       Au sens de la directive  (6) , on entend par:

«[…]

d)       ‘usager d'un aéroport’: toute personne physique ou morale transportant par voie aérienne des passagers, du courrier et/ou du fret, au départ ou à destination de l'aéroport considéré;

e)       ‘assistance en escale’: les services rendus sur un aéroport à un usager tels que décrits en annexe;

f)       ‘auto-assistance en escale’: situation dans laquelle un usager se fournit directement à lui-même une ou plusieurs catégories de services d'assistance et ne passe avec un tiers aucun contrat, sous quelque dénomination que ce soit, ayant pour objet la prestation de tels services. Au sens de la présente définition, ne sont pas considérés comme tiers entre eux des usagers:

dont l'un détient dans l'autre une participation majoritaire

ou

dont la participation dans chacun d'eux est majoritairement détenue par une même entité.

g)       ‘prestataire de services d'assistance en escale’: toute personne physique ou morale fournissant à des tiers une ou plusieurs catégories de services d'assistance en escale.»

6.       Cependant, cette ouverture de l'accès au marché des services aéroportuaires n'est pas absolue; en effet, il est possible pour les États membres de prévoir des dérogations en limitant le nombre des prestataires ou en réservant à un prestataire certains services d'assistance  (7) . C’est ainsi qu’un État membre peut prévoir de réserver ou de limiter à au moins deux, le nombre des prestataires de services d'assistance en escale ou usagers pratiquant l'auto-assistance, conformément aux articles 6, paragraphe 2, et 7, paragraphe 2, de la directive. La directive permet l'application de cette limitation aux seuls services assistance «bagages», «opérations en piste», «carburant et huile» et assistance «fret et poste».

7.       La directive prévoit, en son article 9, la possibilité pour les États membres de déroger à l'ouverture de l'accès au marché des services aéroportuaires lorsque des contraintes spécifiques, notamment de capacité, ne permettent pas l'ouverture du marché préconisé par la directive. La dérogation peut prévoir de limiter ou de réserver le nombre de prestataires de services d'assistance ou d'usagers exerçant l'auto-assistance en escale, voire d'interdire l'exercice de l'auto-assistance. Ces dérogations sont soumises à une procédure de notification auprès de la Commission.

8.       La directive prévoit, en son article 11, une procédure spéciale, fondée sur des critères objectifs, de sélection des prestataires autorisés à fournir des services d'assistance en escale lorsque leur nombre est limité à la suite d'une décision d'un État membre conformément aux dispositions présentées ci-dessus. Les prestataires sont sélectionnés pour une durée maximale de sept années selon la directive.

9.       La directive offre la possibilité aux États membres de subordonner l'activité d'un prestataire de services ou d'un usager se livrant à l'auto-assistance à l'obtention d'un agrément délivré par une autorité publique indépendante de l'entité gestionnaire de l'aéroport  (8) .

10.     Enfin, il convient de souligner que l'article 18 de la directive prévoit:

«Sans préjudice de l'application des dispositions de la présente directive et dans le respect des autres dispositions du droit communautaire, les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits des travailleurs et le respect de l'environnement.»

B –   La réglementation nationale

11.     C'est le décret législatif n° 18, du 13 janvier 1999, portant «application de la directive  (9) (ci-après le «DL 18/99»), qui transpose ladite directive en Italie.

12.     L'Ente nazionale per l'aviazione civile (Office national de l'aviation civile, ci-après l'«ENAC»), autorité publique nationale, est chargé de la bonne application des exigences du DL 18/99.

13.     La République italienne a décidé de faire usage de la limitation du nombre de prestataires qui découle de l'article 6, paragraphe 2, de la directive en appliquant à la sélection des prestataires la procédure spéciale de l'article 11 de ladite directive  (10) . Le DL 18/99 prévoit également les conditions d'agrément des prestataires de services d'assistance en escale.

14.     L'article 14 du DL 18/99 concerne plus particulièrement la protection sociale et prévoit que:

«1.   En garantissant le libre accès au marché des services d'assistance en escale, il faut, pendant les 30 mois qui suivent la date d'entrée en vigueur du présent décret, assurer le maintien des niveaux d'emploi et la continuité des rapports de travail du personnel du gérant précédent.

2.     Sauf dans l'hypothèse d'un transfert d'une branche d'entreprise, tout transfert d'activités concernant une ou plusieurs des catégories de services d'assistance en escale visées aux annexes A et B comporte le transfert du personnel, désigné par les sujets concernés en accord avec les organisations syndicales des travailleurs, du précédent prestataire de services au successeur, proportionnellement à la part du trafic ou d'activités reprise par ce dernier.»

15.     Enfin, l'article 20 du DL 18/99 contient la disposition transitoire suivante:

«Les situations contractuelles du personnel des services d'assistance en escale, en vigueur au 19 novembre 1998, qui prévoient plusieurs régimes organisationnels et contractuels, sont maintenues jusqu'à l'expiration des contrats correspondants, sans possibilité de prorogation et en toute hypothèse pour une période non supérieure à six ans.»

II –  La procédure précontentieuse

16.     À la suite d'une réclamation circonstanciée reçue le 29 mars 1999 de l'Associazione per i diritti degli utenti e consumatori (Association de défense des droits des usagers et des consommateurs), la Commission a vérifié les dispositions pertinentes du DL 18/99 transposant la directive. Ayant constaté l'existence de plusieurs infractions au droit communautaire, la Commission a adressé au gouvernement italien une lettre de mise en demeure le 3 mai 2000.

17.     Non satisfaite de la réponse apportée par ce gouvernement, la Commission lui a envoyé un avis motivé par lettre du 24 juillet 2001. Plusieurs notes du gouvernement italien, par l'intermédiaire de sa Représentation permanente, ont été envoyées à la Commission. Par la suite des rencontres ont été organisées entre représentants des services compétents de la Commission et experts du ministère des Transports italiens, au cours desquelles le gouvernement italien a présenté des propositions de modifications des dispositions du DL 18/99.

18.     C'est ainsi que la note de la Représentation permanente du 10 mai 2002 indiquait que les autorités italiennes se réservaient de communiquer les développements ultérieurs de la question et faisaient état de leur volonté de mettre fin aux infractions existantes. N'ayant pas été informée ensuite des développements ultérieurs, la Commission a introduit, sur le fondement de l'article 226 CE, le présent recours le 19 décembre 2002.

III –  Le recours

19.     Dans sa requête, la Commission formule trois griefs à l'encontre de l'État membre. Elle demande à la Cour de constater que la République italienne:

n'a pas transposé dans le DL 18/99 la durée maximale de sept ans pour la sélection des prestataires de services d'assistance en escale, telle que prévue à l'article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive;

a introduit, avec l'article 14 du DL 18/99, une mesure sociale incompatible avec l'article 18 de la directive, et

a prévu à l'article 20 du DL 18/99, des dispositions transitoires non autorisées par la directive.

20.     Par une lettre datée du 19 janvier 2004, le gouvernement italien a fait savoir à la Cour que la loi n° 306, du 31 octobre 2003, modifiant le DL 18/99 a finalement introduit la référence expresse à la durée maximale de sept années pour la sélection des prestataires.

21.     Par lettre déposée le 24 mars 2004 au greffe de la Cour, la Commission a décidé de se désister partiellement de son recours en ce qui concerne le premier grief  (11) . Le gouvernement italien a accepté ce désistement partiel par lettre du 22 avril 2004.

22.     Ainsi, nous allons examiner d'abord le deuxième grief, puis le troisième grief de la Commission.

A –   Sur le grief tiré de la présence d'une mesure sociale incompatible avec la directive

1.           Les arguments des parties

23.     La Commission reproche à la République italienne d'avoir introduit l'article 14 du DL 18/99 qui est incompatible avec la directive et notamment avec son article 18. L'article 14 impose aux prestataires de services d'assistance en escale l'obligation de garantir le transfert du personnel du précédent prestataire de services, et cela proportionnellement à l'importance des activités reprises.

24.     Une telle obligation irait au-delà de ce que permet l'article 18 de la directive et même de ce que prévoit la directive 2001/23/CE du Conseil, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements  (12) . L'article 14 du DL 18/99 prévoit l'obligation systématique de transférer le personnel en cas de transfert d'activités, donc dans tous les cas, et pas seulement dans ceux pour lesquels la directive transfert d'entreprises l'impose.

25.     Selon la Commission, dans le cadre de l'objectif d'ouverture de l'accès au marché des services d'assistance en escale, une telle obligation favorise les entreprises déjà établies qui ne doivent pas reprendre les employés d'une autre entreprise; en effet, les prestataires voulant accéder au marché ne peuvent pas choisir leur personnel, puisqu'ils sont tenus de reprendre le personnel du précédent prestataire. Une telle situation serait constitutive, selon elle, d'une restriction à la libre prestation des services pour tout nouveau concurrent.

26.     Selon le gouvernement italien, les mesures de protection sociale contenues dans l'article 14 du DL 18/99 ne font pas obstacle à la finalité de la directive et seraient en réalité la concrétisation de la compétence attribuée aux États membres par l'article 18 de la directive. Cet article s'inscrirait, en outre, dans la progressivité mise en place par la directive.

27.     Selon le gouvernement italien, il convient de replacer l'article 14 dans le contexte du DL 18/99, dont l'adoption intervient dans une situation où, d'une part, le pays connaît un taux de chômage extrêmement élevé et, d'autre part, les activités aéroportuaires sont caractérisées par des contrats de travail collectifs consolidés depuis longtemps. Ainsi, selon les autorités italiennes, il convenait de réaliser un changement progressif compte tenu de la présence importante des syndicats susceptible de générer des bouleversements possibles. Le gouvernement italien a voulu, dans ce contexte, suivre une ligne modérée en prévoyant une mesure transitoire pour les droits des travailleurs qui, autrement, ne pourraient plus être protégés par l'ordre juridique italien  (13) .

28.     Selon ce gouvernement, les huitième et vingt-quatrième considérants ainsi que l'article 18 de la directive conféreraient aux États membres la possibilité de prévoir des garanties supplémentaires à celle déjà prévues par le droit communautaire en ce qui concerne la protection des droits des travailleurs  (14) . Les dispositions nationales de transposition doivent obligatoirement trouver un équilibre entre les deux exigences fondamentales de libéralisation du marché des services d'assistance en escale et de protection des droits des travailleurs. En effet, les autorités italiennes contestent la position de la Commission qui ferait primer l'objectif de libéralisation.

29.     Il convient de souligner que, dans une note de la Représentation permanente du 31 octobre 2001  (15) , les autorités italiennes envisageaient de remplacer l'article 14 du DL 18/99 par une obligation à définir concrètement, dont la finalité serait que tout nouvel entrepreneur voulant assurer des services d'assistance en escale donne la préférence pendant un certain temps aux travailleurs de l'entreprise sortante restés sans emploi  (16) .

2.           L'appréciation

30.     En vue d'apprécier le deuxième grief, il convient d'examiner la portée de l'article 18 de la directive. Ensuite, il convient d'établir comment il faut interpréter la portée de cette disposition. Faut-il voir l'action réglementaire des États membres comme étant subordonnée à la réalisation des objectifs de la directive comme le soutient la Commission? Ou faut-il au contraire l'interpréter, conformément à la position du gouvernement italien, comme conférant une marge d'autonomie réglementaire aux États membres en ce qui concerne la protection sociale dans le cadre de la mise en œuvre de la directive?

31.     Nous pensons, comme la Commission, que ces mesures ne doivent pas remettre en cause les objectifs et l'effet utile de la directive. Conformément aux méthodes d'interprétation retenues par la Cour  (17) , nous allons examiner le libellé de son article 18 ainsi que l'économie et les objectifs de ladite directive pour déterminer la portée de la disposition en cause.

32.     Le texte de l'article 18 prévoit comme nous le savons que, «[s]ans préjudice de l'application des dispositions de la présente directive et dans le respect des autres dispositions du droit communautaire, les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits des travailleurs…». Cette disposition doit être lue avec le vingt-quatrième considérant de la directive qui prévoit que les «États membres doivent conserver le pouvoir de garantir un niveau adéquat de protection sociale pour le personnel des entreprises qui fournissent des services d'assistance en escale».

33.     Il ressort de ces formulations que les États membres peuvent prévoir des mesures de protection sociale dans le cadre de la mise en œuvre de dite directive. Mais la lettre de ces dispositions ne confère pas une compétence réglementaire illimitée en matière de protection sociale aux États membres. En effet, ladite compétence est encadrée par une triple condition. Tout d’abord, l'État membre dans l'exercice de la compétence précitée ne doit pas porter atteinte à l'application de l'ensemble de la directive. Ensuite, il doit respecter les autres dispositions de droit communautaire. Enfin, les mesures prises dans le cadre de cette compétence doivent être nécessaires pour assurer la protection du droit des travailleurs.

34.     Aux termes de la première condition, la mise en œuvre de la compétence réglementaire des États membres ne doit pas faire obstacle à la réalisation des objectifs de la directive, que nous examinerons ultérieurement. La deuxième condition, contenue dans le libellé de l'article 18 de la directive, renvoie à l'obligation de respecter les autres dispositions du droit communautaire lorsque les États membres décident d'adopter des mesures sociales. Ainsi, les États membres ne doivent pas enfreindre la directive transfert d'entreprises dans le cadre de la mise en œuvre des mesures sociales décidées par eux. Enfin, ladite disposition exige que la mesure nationale soit proportionnée.

35.     L'interprétation systématique de la disposition sur la protection sociale permet de souligner la place qu'occupe l’article 18 dans la structure de la directive. En effet, nous constatons que l'article 18 est presque l'un de ses derniers articles  (18) . La directive prévoit en premier lieu le champ d'application de l'accès au marché de l'assistance en escale, la signification des notions contenues dans la directive et l'ensemble des dispositions de la directive contient les règles communautaires applicables par les États membres dans le cadre de l'ouverture de l'accès au marché de l'assistance en escale. Ces dispositions sont multiples et concernent aussi bien la sélection des prestataires, l'agrément et les dérogations que les règles relatives à l'accès aux installations.

36.     L'introduction de la préoccupation de la protection sociale apparaît seulement après l'ensemble des dispositions concernant l'accès au marché de l'assistance en escale et l'impératif du respect de la sûreté et de la sécurité par les États membres  (19) .

37.     Dans ce contexte, la lecture qui découle de l'article 18 par rapport à l'économie de la directive est univoque. Il convient de lire cet article comme une préoccupation, certes réelle, mais seulement complémentaire à la mise en œuvre de l'ensemble de la directive. Cette analyse nous semble également conforme aux objectifs de ce texte.

38.     La finalité de la directive, comme le rappelle justement la Commission, telle qu’énoncée dans les considérants de l'acte, est double. Il s'agit de réaliser progressivement, d’une part, le libre accès au marché et, d'autre part, d’introduire une concurrence effective et loyale sur le marché de l'assistance en escale  (20) . Nous avons également constaté que l'ensemble des dispositions concerne les modalités de l'accès au marché de l'assistance en escale. Les considérations de protection sociale sont donc complémentaires. Il ne s'agit pas cependant, comme le soutient à tort la République italienne, de faire prévaloir les considérations de libéralisation sur la protection des travailleurs dans le cadre de la directive. Selon nous, la finalité de la directive ne concerne que le marché de l'assistance en escale. Les dispositions de la directive sont prévues pour en assurer l'ouverture.

39.     Cette finalité de la directive ne doit pas être compromise, selon nous, par l'adoption par les États membres de mesures sociales sur le fondement de l'article 18. Or, nous pensons que l'article 14 du DL 18/99 compromet la réalisation de la finalité de la directive.

40.     Selon les explications des autorités italiennes, la disposition italienne ne fait pas obstacle à la libéralisation du secteur de l'assistance en escale; elle ne tend qu’à réaliser la transition progressive entre l'ancien et le nouveau système sans créer de ruptures dramatiques des rapports d'emploi. La République italienne réfute les arguments de la Commission selon laquelle la législation litigieuse serait de nature à fausser la concurrence sur le marché des services aéroportuaires en faveur des entreprises déjà établies au détriment des concurrents potentiels. En effet, selon elle, le principe de la libre concurrence ne saurait servir de prétexte pour affranchir ces opérateurs des contraintes imposées dans le secteur d'activité en question par la législation sociale  (21) .

41.     Or, rappelons que l'article 14 du DL 18/99 prévoit, de façon temporaire  (22) , que, pour assurer le maintien des niveaux d'emploi et la continuité des rapports de travail du personnel et du gérant précédent, «[s]auf dans l'hypothèse d'un transfert d'une branche d'entreprise, tout transfert d'activités concernant une ou plusieurs des catégories de services d'assistance en escale visées aux annexes A et B comporte le transfert du personnel, désigné par les sujets concernés en accord avec les organisations syndicales des travailleurs, du précédent prestataire de services au successeur, proportionnellement à la part du trafic ou d'activités reprise par ce dernier». Ces dispositions prévoient donc une protection sociale supplémentaire à celle découlant de la directive transfert d'entreprises. Cette protection sociale supplémentaire peut se fonder sur l'article 18 de la directive à condition de respecter les conditions que nous avons précédemment rappelées.

42.      La disposition législative nationale impose, comme protection sociale supplémentaire, en pratique à tout nouveau concurrent l'obligation de reprendre le personnel du précédent prestataire de services proportionnellement à la part du trafic ou d'activités reprises. Comme la Commission, nous pensons qu'une telle obligation peut compromettre l'ouverture du marché de l'assistance en escale et avoir comme conséquence de nuire à l'effet utile de la directive. La directive a comme mission d'ouvrir à la concurrence un marché qui dans le passé fonctionnait comme monopole. Cette décision qui doit se faire par étape est une décision particulière en ce sens qu'il convient de permettre à de nouvelles entreprises de reprendre des activités jusqu'alors exercées par une seule entité. Cette ouverture graduelle doit permettre, comme le souligne la Commission, l'utilisation rationnelle des infrastructures des aéroports et la diminution des coûts.

43.     Or, la mesure italienne a pour conséquence selon nous, comme le soutient également la Commission, de défavoriser les nouveaux concurrents potentiels par rapport aux entreprises déjà établies. En effet, les entreprises intéressées par l'accès au marché de l'assistance en escale se voient interdire la possibilité de choisir leur propre personnel. Dans le cadre des activités en cause, c'est-à-dire une activité de prestation de services, l'élément du choix du personnel est déterminant, car c'est le personnel qui est en charge de la fourniture des services. En limitant le choix et la liberté d'organisation de son personnel pour les nouvelles entreprises voulant pénétrer le nouveau marché concurrentiel, la disposition italienne introduit des contraintes avec de lourdes conséquences pour elles. Ces contraintes auront pour effet de défavoriser ces nouvelles entreprises au profit de l'entreprise déjà établie. Ainsi, une telle mesure a effectivement pour conséquence de limiter la marge de manœuvre des nouveaux concurrents, car un élément aussi important que l'organisation de son personnel lui est imposé par la mesure nationale.

44.     Nous pensons, en outre, que la Commission affirme à juste titre que la mesure italienne va au‑delà des mesures qui peuvent être considérées comme nécessaires pour la protection des droits des travailleurs conformément à l'article 18 de la directive.

45.     En effet cette mesure prévoit la reprise systématique du personnel par le nouveau prestataire certes proportionnellement à l'activité reprise, mais d’une manière inconditionnelle. Selon nous, de telles dispositions sont disproportionnées. Il est à ce titre intéressant d'observer que le gouvernement italien avait proposé dans le cadre de la procédure précontentieuse de remplacer la disposition de l'article 14 du DL 18/99 en introduisant une «obligation pour l'entrepreneur arrivant, qui a l'intention d'embaucher du personnel, d'accorder pendant un certain temps la préférence aux travailleurs de l'entreprise précédente restés sans emploi»  (23) . Cette alternative aux dispositions actuelles de l'article 14 du DL 18/99 aurait laissé une plus grande souplesse pour les nouvelles entreprises concurrentes.

46.     À titre purement indicatif, comme la Commission l'a mentionné à l'audience, nous pensons qu'il est également possible d'envisager, comme alternative une mesure nationale qui, au lieu d'imposer la reprise des travailleurs à la nouvelle entreprise, répartirait la charge et la préoccupation liées à la protection des droits des travailleurs du prestataire précédent entre ce dernier et le nouveau prestataire. Ainsi, la nouvelle entreprise, conjointement avec l'entreprise dont elle a repris les activités et éventuellement les syndicats, pourrait envisager un reclassement ou une indemnisation de certains travailleurs. Une telle mesure présenterait l'avantage de ne pas décourager, par la charge sociale qu'elle impose, les nouvelles entreprises qui voudraient pénétrer le nouveau marché ouvert à la concurrence.

47.     Ainsi, le grief de la Commission tiré de la présence d'une mesure sociale incompatible avec la directive dans l'acte de transposition italienne doit être retenu.

B –   Sur le grief tiré de l'introduction de dispositions transitoires non autorisées par la directive

48.     Dans sa requête, la Commission a estimé que les dispositions de l'article 20 du DL 18/99 violent la directive en ce qu'elles permettent à des entreprises ayant «des systèmes d'organisation différents» d'opérer dans le domaine de l'auto-assistance parallèlement à des usagers exerçant l'auto-assistance sélectionnés conformément aux dispositions de cette directive. La Commission indique que les autorités italiennes font état du caractère temporaire et marginal de ces dispositions ainsi que de leur intention d'abroger cet article.

49.     La directive définit clairement les catégories d'opérateurs de services d'assistance en escale qui peuvent être qualifiées de prestataires de services d'assistance en escale et d'opérateurs d'auto-assistance. Les entités qui ne remplissent pas les critères posés par la directive ne peuvent opérer qu'en qualité de prestataires de services à des tiers. En effet, la directive ne prévoit pas la possibilité pour les États membres de prendre des mesures transitoires pour les entreprises ayant un «système d'organisation différent». Mettant en place de telles mesures transitoires, le DL 18/99 a introduit des dispositions contraires à la lettre de la directive.

50.     L'article 20 du DL 18/99 est donc incompatible avec la directive. Le grief de la Commission fondé sur cet article est, par conséquent, bien fondé.

IV –  Conclusion

51.     À la lumière des observations qui précèdent nous proposons à la Cour de statuer comme suit:

«1)    En introduisant, avec l’article 14 du décret législatif n° 18, du 13 janvier 1999, une mesure sociale incompatible, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 18 de la directive 96/67/CE du Conseil, du 15 octobre 1996, relative à l'accès au marché de l'assistance en escale dans les aéroports de la Communauté.

2)      En prévoyant, à l’article 20, du décret législatif n° 18, du 13 janvier 1999 des dispositions de caractère transitoire non autorisées, la République italienne a violé ladite directive.

3)      La République italienne est condamnée aux dépens.»


1
Langue originale: le français.


2
JO 1996, L 272, p. 36. Aux termes de son article 23, paragraphe 1, les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard un an après sa publication au Journal officiel des Communautés européennes.


3
Article 1er, paragraphe 1, de la directive.


4
Dixième considérant.


5
Onzième, vingt-deuxième et vingt-quatrième considérants.


6
Article 2.


7
Voir articles 6 et 9 de la directive.


8
Article 14 de la directive qui exige que les critères établis par les États membres pour l'obtention de cet agrément respectent certains principes comme la non-discrimination, le respect de l'objectif poursuivi et la garantie d'assurer l'accès au marché ou l'exercice de l'auto-assistance tel que prévu par la directive.


9
GURI du 4 février 1999, n° 28 (suppl. ord.).


10
Articles 4, paragraphe 2, et article 11, paragraphe 1, du DL 18/99.


11
Le désistement partiel de la Commission est intervenu avant l'audience du 25 mars 2004 lors de laquelle elle a rappelé son renoncement. Selon une jurisprudence constante de la Cour le désistement, donc a fortiori le désistement partiel, peut intervenir au cours de la procédure écrite ou ultérieurement. Voir, notamment, arrêt du 23 mai 1996, Commission/Grèce (C‑331/94, Rec. p. I-2675, points 5 et 6).


12
Directive du Conseil, du 12 mars 2001, (JO, L 82, p. 16, ci-après la «directive transfert d'entreprises»). En effet, les mesures prévues à l'article 14 du DL 18/99 ne pourraient se justifier que dans le cadre de la mise en œuvre de la directive transfert d'entreprises. Or, en l'espèce, souligne la Commission, les mesures italiennes s'appliquent à toute situation de transfert d'activités, donc dans un champ bien plus large que celle qui relève de l'application de la directive transfert d'entreprises. Dans le cadre de cette dernière, la mise en œuvre du transfert est strictement circonscrite. Ainsi, le simple fait que les services fournis soient analogues ne permet pas de conclure qu'il y a transfert d'une entité économique. La simple similitude d'activités ne permet pas de conclure qu'il y a un transfert au sens de la directive transfert d'entreprises et que l'obligation de maintien des droits des travailleurs doit trouver à s'appliquer.


13
Point 3.2 du mémoire en défense également contenu dans la note de la Représentation permanente n° 8679, du 18 juillet 2000, tel que repris par la Commission dans sa requête, point 34.


14
Point 3.4 du mémoire en défense.


15
N° 13444.


16
Intention qui est restée pour le moment sans effet comme le met en exergue la Commission au point 45 de sa requête.


17
Voir, notamment, arrêts du 19 octobre 1995, Hönig (C‑128/94, Rec. p. I‑3389, point 9); du 23 mars 2000, Berliner Kindl Brauerei (C‑208/98, Rec. p. I‑1741); du 12 octobre 2000, Cooke (C‑372/98, Rec. p. I­8683), et du 29 avril 2004, Plato Plastik (C‑341/01, non encore publié au Recueil).


18
Les vingt-deuxième et vingt-quatrième considérants, qui renvoient également à la possibilité de prévoir une protection sociale pour les États membres dans le cadre de la directive, sont également parmi les derniers considérants.


19
Nous constatons également qu'il s'agit d'un article type qui figure dans d'autres réglementations communautaires comme considération complémentaire à l'attention des États membres. Voir, par exemple, dans ce sens, l'article 15 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès au marché des services portuaires [COM (2001) 35 final, JO C 154, p. 290].


20
Le cinquième considérant de la directive prévoit que cette double finalité aura comme conséquences positives de réduire les coûts d'exploitation des compagnies aériennes et d’améliorer la qualité offerte aux usagers. Cette double finalité a été atteinte en pratique comme en atteste une étude réalisée par la Commission, conformément à l'article 22 de la directive, http://www.europa.eu.int/comm/transport/air/rules/doc/consultation_groundhandling_en.pdf au point 1.2.


21
Page 7 du mémoire en défense et arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, Rec. p.  I‑745, point 22).


22
L’article 14, paragraphe 1, limite son application aux 30 premiers mois qui suivent la date d'entrée en vigueur du DL 18/99.


23
Point 45 de la requête.