Langue du document : ECLI:EU:C:2000:635

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 16 novembre 2000 (1)

Affaire C-444/98

R. J. de Laat

contre

Bestuur van het Landelijk instituut sociale verzekeringen

[demande de décision préjudicielle formée par l'Arrondissementsrechtbank te Roermond (Pays-Bas)]

«Sécurité sociale des travailleurs migrants - Chômage - Travailleur frontalier - Chômage partiel - Notion»

1.
    Le présent renvoi préjudiciel a trait à un conflit négatif de lois nationales qui est né d'une interprétation divergente que font les institutions de sécurité sociale belge et néerlandaise des notions de «chômage partiel» et de «chômage complet» figurant à l'article 71, paragraphe 1, sous a), i) et ii), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (ci-après le «règlement»), dans sa version modifiée par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, et mis à jour à la date des faits (2).

I - Le cadre juridique

2.
    Les dispositions pertinentes du droit communautaire pour la réponse à donner aux questions préjudicielles figurent aux articles 13 et 71, paragraphe 1, sous a), i) et ii), du règlement.

3.
    L'article 13 dispose que:

«1.    Sous réserve de l'article 14 quater, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2.    Sous réserve des articles 14 à 17:

a)    la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre;

b)    ...»

4.
    L'article 71, paragraphe 1, sous a), i) et ii), quant à lui, prévoit que:

«Le travailleur salarié en chômage qui, au cours de son dernier emploi, résidait sur le territoire d'un État membre autre que l'État membre compétent bénéficie des prestations selon les dispositions suivantes:

a)    i)    le travailleur frontalier qui est en chômage partiel ou accidentel dans l'entreprise qui l'occupe bénéficie des prestations selon les dispositions de la législation de l'État compétent, comme s'il résidait sur leterritoire de cet État; ces prestations sont servies par l'institution compétente;

    ii)    le travailleur frontalier qui est en chômage complet bénéficie des prestations selon les dispositions de la législation de l'État membre sur le territoire duquel il réside, comme s'il avait été soumis à cette législation au cours de son dernier emploi; ces prestations sont servies par l'institution du lieu de résidence et restent à sa charge.»

II - Les faits

5.
    Il résulte de l'ordonnance de renvoi et du dossier national que M. de Laat, ressortissant néerlandais, réside aux Pays-Bas avec sa famille. Il était au service de Amstelstad Belgium à Bree (Belgique) en qualité de gérant, du 1er décembre 1994 jusqu'au 30 novembre 1996 inclus, date à laquelle la relation de travail a pris fin. M. de Laat a été réengagé comme laveur de vitres par Amstelstad Belgium en vertu d'un contrat de travail à temps partiel à raison de 13 heures par semaine avec effet au lundi 2 décembre 1996.

6.
    Selon les observations du Bestuur van het Landelijk instituut sociale verzekeringen néerlandais (ci-après le «LISV»), au moment des faits, Amstelstad Belgium aurait connu des difficultés financières mais n'aurait pas désiré se séparer de M. de Laat, qui, par ailleurs, aurait repris son travail à temps plein chez Amstelstad Belgium dès février 1997.

7.
    La juridiction de renvoi expose que, en date du 30 novembre 1996, M. de Laat a saisi le LISV d'une demande en obtention d'une prestation de chômage au titre de la Werkloosheidswet néerlandaise (ci-après la «WW») en raison du chômage partiel qu'il aurait subi depuis le 2 décembre 1996.

8.
    Le LISV a rejeté cette demande au titre de l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement et renvoyé M. de Laat à l'institution compétente belge au motif qu'il le considérait comme en état de chômage partiel. Il aurait subsisté, en effet, un lien avec le pays de travail sous forme du contrat de travail à temps partiel conclu par M. de Laat avec Amstelstad Belgium et M. de Laat n'aurait pu, dès lors, prétendre à une prestation de chômage aux Pays-Bas, pays de résidence, mais aurait relevé de la législation du pays de travail, en l'occurrence de la législation belge.

9.
    M. de Laat avait également introduit une demande en obtention d'une allocation dite de «garantie de revenu» auprès de l'institution compétente belge, en faisant valoir qu'à partir du 2 décembre 1996 il était obligé de travailler à temps partiel chez son employeur.

10.
    L'institution compétente belge a rejeté sa demande au motif que M. de Laat était à considérer, conformément au droit belge et, selon elle, à l'article 71,paragraphe 1, sous a), ii), du règlement, comme un travailleur frontalier en chômage complet, relevant donc de la législation du pays de résidence, en l'occurrence les Pays-Bas.

11.
    M. de Laat n'a pas contesté la décision de l'institution compétente belge et s'est limité à introduire un recours contre la décision du LISV. L'Arrondissementsrechtbank te Roermond (Pays-Bas) (ci-après la «juridiction de renvoi»), après avoir pris connaissance des décisions divergentes des institutions compétentes belge et néerlandaise et ayant des doutes sur l'interprétation des notions de chômage partiel et de chômage complet au sens de l'article 71, paragraphe 1, sous a), i) et ii), du règlement, a posé les questions suivantes.

III - Les questions préjudicielles

«1)    Le fait qu'un travailleur salarié doit être considéré comme étant en chômage partiel ou en chômage complet au regard de la législation interne de l'État membre compétent ou de l'État membre où il réside a-t-il une incidence pour déterminer si un travailleur frontalier est en chômage partiel, et qu'il peut dès lors prétendre à une prestation de l'État membre compétent au titre de l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n° 1408/71, ou s'il est en chômage complet, et qu'il peut dès lors prétendre à une prestation de l'État membre où il réside au titre de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408/71, ou les notions de chômage partiel et de chômage complet doivent-elles recevoir un contenu uniforme - communautaire?

2)    Si la qualification faite, selon la législation interne, a une incidence, quelle qualification doit primer lorsque les analyses faites conformément aux législations de l'État membre compétent et de l'État membre où le travailleur salarié réside aboutissent à des conclusions différentes?

3)    Si la qualification faite selon la législation interne n'a pas d'incidence et que les notions de chômage partiel et de chômage complet doivent recevoir un contenu uniforme - communautaire - à quel critère faut-il alors recourir?

4)    La subsistance ou non d'un lien avec le pays de travail a-t-elle à cet égard une portée déterminante et, le cas échéant, quelles conditions doivent être remplies pour qu'il y ait un lien de cette nature? Ce lien existe-t-il si

    a)    le travailleur a une perspective concrète de reprendre les activités chez l'ancien employeur, ou

    b)    le travailleur salarié continue de travailler dans le même pays, même de façon réduite.

5)    Ou faut-il vérifier que la condition énoncée au point 3 est remplie en recourant à un critère plus formel comme par exemple la poursuite ou non d'une relation de travail au sens du droit du travail?

6)    Compte tenu des réponses aux questions posées ci-avant, faut-il considérer un travailleur frontalier, qui, juste après avoir démissionné d'un emploi à temps plein, va travailler à temps partiel chez le même employeur, comme étant un travailleur frontalier en chômage partiel au sens de l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement ou comme étant un travailleur frontalier en chômage complet au sens de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement?»

IV - Les observations présentées devant la Cour

12.
    S'agissant de l'interprétation des notions de «chômage partiel» et de «chômage complet» au sens du règlement, le LISV propose de se référer à la jurisprudence de la plus haute juridiction néerlandaise, le Centrale Raad van Beroep, selon laquelle il y a chômage complet lorsqu'au moment de la survenance de la situation de chômage on ne peut plus estimer qu'il existe entre le travailleur salarié et l'employeur un lien se traduisant dans une perspective concrète de reprise des activités. Au contraire, lorsque subsiste un tel lien entre le travailleur et l'employeur, il s'agit d'une situation de chômage partiel ou de chômage accidentel, et c'est à l'État membre compétent, en cas de chômage partiel, que le travailleur doit s'adresser pour l'allocation de chômage.

13.
    Le gouvernement belge précise qu'en Belgique, en cas d'emploi à temps partiel, les heures d'inactivité ne donnent pas droit à une indemnité de chômage. Il existe seulement, à titre d'incitant, un droit limité à ce qu'il est convenu d'appeler l'allocation de garantie de revenu. Il s'agit d'un montant forfaitaire versé aux chômeurs à temps complet qui acceptent un travail à temps partiel et qui perdent, dès lors, leur allocation de chômage. À défaut, ces travailleurs à temps partiel percevraient un revenu inférieur à celui qu'ils percevaient auparavant sous forme d'allocation de chômage.

14.
    Comme cette allocation de garantie de revenu est considérée comme une allocation dans le cadre du chômage à temps complet, elle est aussi accordée aux travailleurs employés à temps partiel aux Pays-Bas qui résident en Belgique et qui percevaient auparavant en Belgique une allocation de chômage pour tous les jours de la semaine. Les situations de chômage partiel, en revanche, sont celles où il y a suspension temporaire du contrat de travail, qu'il soit à temps plein ou à temps partiel. La législation belge reconnaît notamment les circonstances suivantes: suspension pour cas de force majeure, pour accident technique, pour intempéries ou pour manque de travail résultant de causes économiques. L'allocation accordée dans ce cas est une compensation des heures qui n'ont pas été ouvrées en raison des circonstances imprévues et est proportionnelle au nombre d'heures pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail a été suspendue. Il estime que lesnotions de chômage «partiel» et de chômage «accidentel» figurant à l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement couvriraient, en grande partie, les mêmes cas de figure qu'en droit belge.

15.
    Faisant référence à divers arrêts de la Cour, le gouvernement portugais considère qu'un travailleur frontalier qui, dès la fin d'un contrat de travail à temps complet qui le liait à un employeur déterminé, va travailler à temps partiel chez le même employeur doit être considéré comme un travailleur frontalier en chômage partiel au sens de l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement.

16.
    La Commission rappelle, tout d'abord, que, selon l'article 13, paragraphe 1, du règlement, les personnes qui relèvent du champ d'application du règlement ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre et que, selon la jurisprudence de la Cour, le règlement doit être interprété de façon à éviter non seulement un conflit positif, mais également un conflit négatif des régimes de sécurité sociale des États membres.

17.
    Le second principe à prendre en compte, énoncé à l'article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement, est que celui-ci est fondé sur le principe de la lex loci laboris, à savoir que l'intéressé relève du régime de sécurité sociale de l'État membre où il travaille.

18.
    S'agissant de l'article 71 du règlement, qui contient une exception au principe, le législateur communautaire est parti de l'idée qu'un travailleur frontalier, lorsqu'il est devenu chômeur et se trouve donc dans le pays de résidence, peut recevoir la meilleure assistance et percevoir le plus facilement les prestations auxquelles il a droit auprès de l'institution compétente du pays de résidence.

19.
    Si, en revanche, les liens avec le pays de travail ne sont pas complètement coupés, notamment parce que l'intéressé y détient toujours un emploi, fût-il partiel, la logique de l'exception au principe de la lex loci laboris ne tient pas et ce principe reprend ses droits.

20.
    Selon la Commission, «un travailleur frontalier est en 'chômage partiel‘ s'il conserve un emploi (autre qu'un emploi à temps complet) sur le territoire du pays de travail, de sorte qu'il reste soumis au régime de sécurité sociale du pays de travail en vertu de l'article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement... Par contre, un travailleur frontalier en situation de 'chômage complet‘ est une personne qui a perdu tout lien de travail et de sécurité sociale avec le pays de travail».

V - Appréciation

21.
    Rappelons, pour commencer, que le règlement n'organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais qu'il a pour unique objet d'assurer unecoordination entre les régimes nationaux (3). Il établit des critères de rattachement destinés à éviter qu'un travailleur migrant ne relève d'aucun régime de sécurité sociale, ou qu'il relève simultanément des régimes de deux États membres.

22.
    Or, à travers la question de savoir si un travailleur se trouvant dans la situation de M. de Laat relève du régime de la sécurité sociale néerlandaise en tant que chômeur complet, ou du régime de la sécurité sociale belge en tant que chômeur partiel, ou, comme le soutient, en substance, le gouvernement belge, de ces deux régimes à la fois, c'est bien un problème de ce type que nous pose la juridiction de renvoi.

Quant à la première et à la deuxième question

23.
    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les notions de chômage partiel et de chômage complet doivent recevoir un contenu uniforme - communautaire. Tous les États membres qui ont présenté des observations ainsi que la Commission ont été d'accord pour estimer que cette question doit recevoir une réponse positive.

24.
    Il y a, évidemment, lieu d'approuver cette réaction.

25.
    Il résulte, en effet, d'une jurisprudence constante de la Cour que «le règlement n° 1408/71, arrêté sur la base de l'article 51 du traité, a essentiellement pour objet d'assurer l'application, selon des critères uniformes et communautaires [(4)], des régimes de sécurité sociale concernant, dans chaque État membre, les travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté» (5).

26.
    Quant à la question de savoir quelle législation est applicable à une situation concrète, la Cour a déclaré qu'il résulte des dispositions du titre II du règlement n° 1408/71 «que l'application d'une législation nationale est déterminée en fonction des critères dégagés par les règles du droit communautaire». En effet, s'il «appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale ou à telle ou telle branche de ce régime, les États membres ne disposent pas pour autant de la faculté de déterminer dans quelle mesure est applicable leur propre législation ou celle d'un autre État membre» (6).

27.
    Compte tenu de la réponse que nous proposons de donner à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Quant à la troisième, à la quatrième, à la cinquième et à la sixième question

28.
    À travers la troisième, la quatrième et la cinquième question, le juge national nous demande à quels critères il faut recourir pour déterminer, en droit communautaire, si un travailleur se trouve en chômage partiel ou en chômage complet.

29.
    Ensuite, par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande si une personne se trouvant dans la situation de M. de Laat doit être considérée comme un travailleur frontalier en chômage partiel au sens de l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement, ou comme un travailleur frontalier en chômage complet au sens de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement.

30.
    Or, il ne saurait faire de doute que, au regard du droit communautaire, un tel travailleur ne saurait être considéré comme étant en chômage complet.

31.
    Déjà le sens commun donne à penser qu'un travailleur en chômage complet est un travailleur qui, par suite de la fin de sa relation de travail, n'exerce plus d'activité tout en étant à la recherche d'un nouvel emploi.

32.
    C'est d'ailleurs également la définition que la Commission, dans une proposition présentée le 12 janvier 1996 et non encore adoptée par le Conseil (7), a proposé d'insérer dans le règlement.

33.
    Selon ce texte, «les termes 'chômage complet‘ désignent la situation d'un travailleur dont la relation de travail est rompue ou est arrivée à expiration».

34.
    Cette définition couvrirait non seulement les travailleurs dont le contrat est venu à expiration et ceux qui ont été licenciés, mais également ceux qui ont démissionné (8) de leur emploi. Cela me semble acceptable, étant donné que, de toute façon, le règlement n'a pas pour objet de définir les droits matériels dont peut bénéficier un travailleur en chômage complet. Ces droits sont définis par les législations nationales. Il peut donc arriver que, dans un État membre, un travailleur qui a volontairement présenté sa démission ne touche pas d'indemnité de chômage, alors que l'inverse pourrait être vrai dans un autre État membre.

35.
    On peut donc retenir que la notion de «chômage complet», au sens du règlement, désigne la situation d'un travailleur dont la relation de travail est rompue ou est venue à expiration et qui est à la recherche d'un nouvel emploi (9).

36.
    Comme M. de Laat a exercé, au cours de la période dont il s'agit, une activité professionnelle en Belgique, il ne saurait être considéré comme un travailleur en chômage complet.

37.
    En revanche, il y a matière à discussion en ce qui concerne la question de savoir si M. de Laat est un chômeur partiel ou un travailleur à temps partiel. Il n'y a pas de doute que, au regard du droit communautaire, doit être considéré comme un travailleur en chômage partiel celui qui, titulaire d'un contrat de travail, est amené, contre sa volonté, à ne prester qu'un nombre d'heures inférieur à celui prévu par ledit contrat.

38.
    Faut-il aussi inclure dans cette définition une situation telle que celle du cas d'espèce où cette réduction de l'horaire de travail s'est opérée, toujours dans la même entreprise, au moyen d'un nouveau contrat?

39.
    À première vue, on pourrait être tenté de répondre affirmativement à cette question dans tous les cas où le travailleur avait d'abord été licencié et où l'ancien contrat (à temps plein) a été suivi immédiatement par le nouveau contrat (à temps partiel).

40.
    Cette approche se heurte cependant à une difficulté, à savoir celle de déterminer objectivement si l'on n'est pas en présence d'un travailleur qui a choisi librement de passer à un horaire réduit. Le nouveau contrat sera, en effet, bien souvent rédigé dans des termes identiques dans les deux hypothèses.

41.
    On ne saurait, en effet, totalement exclure qu'un travailleur, à la différence de M. de Laat, souhaite, en fait, ne plus travailler dorénavant qu'à temps réduit, qu'il se fasse affecter à cet effet à une autre fonction dans l'entreprise, mais qu'il soit néanmoins tenté de s'adresser aux autorités compétentes en vue de compenser sa perte de revenu en touchant des indemnités pour chômage partiel.

42.
    En outre, si l'on devait considérer comme chômeur partiel le travailleur ayant conclu avec son employeur un nouveau contrat prévoyant un horaire de travail réduit, on ne verrait pas en quoi cette hypothèse différerait de celle d'un travailleur qui conclurait un tel contrat avec un nouvel employeur. Celui-ci devrait donc logiquement aussi être considéré comme un chômeur partiel.

43.
    Or, considérer comme en chômage partiel celui qui conclut un nouveau contrat de travail, prévoyant une activité à temps partiel, avec un nouvel employeur, pour autant que l'intéressé entend toujours renouer avec une activité à temps plein, ouvrirait la voie à des incertitudes. Cela reviendrait, en effet, à prendre en considération les intentions du travailleur, ce que le règlement vise précisément à éviter.

44.
    L'interprétation de la notion de chômage partiel me semble surtout devoir se fonder sur l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement qui dispose que:

«le travailleur frontalier qui est en chômage partiel ou accidentel dans l'entreprise qui l'occupe bénéficie des prestations selon les dispositions de la législation de l'État compétent...»

45.
    Les mots «qui l'occupe» impliquent une continuité dans la relation de travail, à savoir que le passage d'un régime à temps plein à un régime à temps partiel ait eu lieu au sein de la même entreprise, sans que le contrat ait été rompu ni qu'il ait fait l'objet d'un avenant destiné à réduire la durée de travail.

46.
    Notons que cela ne préjuge en rien le contenu des droits dont une personne se trouvant dans la situation de M. de Laat pourrait bénéficier dans l'État dont la législation lui est, en vertu du règlement, applicable.

47.
    C'est ainsi que, si la législation applicable, telle que déterminée par application des critères du droit communautaire, ouvre à des travailleurs qui se sont engagés dans une relation de travail à temps réduit des droits à certaines allocations, parce qu'elle les considère comme relevant de l'indemnisation du chômage, il va de soi que le bénéfice de telles allocations ne saurait être refusé à un travailleur au prétexte qu'il réside dans un autre État membre.

48.
    Pareil refus constituerait, en effet, une violation directe du principe de non-discrimination énoncé à l'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE).

49.
    En fin de compte, j'estime donc que doit être considéré comme un travailleur en chômage partiel, au sens de l'article 71, paragraphe 1, sous a), i), du règlement, le travailleur titulaire d'un contrat de travail qui est amené, contre sa volonté (10), à ne prester qu'un nombre d'heures inférieur à celui prévu par ledit contrat.

50.
    Toutefois la juridiction de renvoi ne nous demande pas d'interpréter la notion de chômage partiel par rapport à celle de travail partiel. D'ailleurs, qu'untravailleur relève de l'une ou de l'autre de ces catégories ne fait aucune différence du point de vue de la législation applicable selon le règlement. Tant l'article 71, paragraphe 1, sous a), i) (travailleur frontalier en chômage partiel), que l'article 13, paragraphe 2, sous a) (travailleur qui exerce une activité salariée même à temps partiel), appliquent, en effet, le même critère, à savoir celui de la localisation de l'activité.

51.
    Ce que la juridiction de renvoi voudrait savoir, en substance, c'est si un travailleur se trouvant dans la situation de M. de Laat peut être considéré comme un chômeur complet au sens du règlement, ce qui aurait comme conséquence que, en vertu de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), ce serait la législation de l'État membre sur le territoire duquel il réside qui lui serait applicable.

52.
    Or, il n'est pas contesté que M. de Laat a exercé, au cours de la période litigieuse, une activité salariée au titre de laquelle il a relevé, en vertu de l'article 13, paragraphe 2, sous a), de la législation de l'État membre où cette activité s'est exercée, en l'occurrence le royaume de Belgique.

53.
    Il résulte, de surcroît, de la jurisprudence de la Cour que «l'article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens qu'une personne entrant dans le champ d'application de ce règlement, qui exerce une activité à temps partiel sur le territoire d'un État membre, est soumise à la législation de cet État tant durant les jours pendant lesquels elle exerce cette activité que durant les jours pendant lesquels elle ne l'exerce pas» (11).

54.
    Je vous propose, dès lors, de répondre comme suit aux troisième, quatrième, cinquième et sixième questions:

«Un travailleur frontalier qui exerce une activité salariée ne saurait être considéré comme un chômeur complet au sens du règlement n° 1408/71. Il relève de la législation de l'État membre où il est occupé, même s'il réside sur le territoire d'un autre État membre.»

VI - Conclusion

55.
    Sur la base de toutes les considérations qui précèdent, je vous propose de répondre comme suit aux questions posées par l'Arrondissementsrechtbank te Roermond:

«1)    Les notions de 'chômage complet‘ et de 'chômage partiel‘ figurant à l'article 71, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécuritésociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, doivent recevoir une interprétation communautaire.

2)    Un travailleur frontalier qui exerce une activité salariée ne saurait être considéré comme un chômeur complet au sens du règlement n° 1408/71. Il relève de la législation de l'État membre où il est occupé, même s'il réside sur le territoire d'un autre État membre.»


1: Langue originale: le français.


2: -     JO L 149, p. 2; règlement (CEE) n° 2001/83 (JO L 230, p. 8).


3: -     Voir, notamment, arrêt du 5 juillet 1988, Borowitz (21/87, Rec. p. 3715, point 23).


4: -     Souligné par l'auteur.


5: -     Arrêt du 10 janvier 1980, Jordens-Vosters (69/79, Rec. p. 75, point 11).


6: -     Arrêt du 23 septembre 1982, Kuijpers (276/81, Rec. p. 3027, point 14).


7: -     Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant, en faveur des travailleurs en chômage, le règlement n° 1408/71 et le règlement (CEE) n° 574/72 fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71 (JO 1996, C 68, p. 11, point 14).


8: -     Il résulte cependant de l'une des pièces figurant au dossier national que M. de Laat aurait été licencié pour cause économique. Il a été sans contrat de travail pendant une journée (un dimanche).


9: -     La recherche d'un emploi étant prouvée par un enregistrement auprès de l'organisme compétent.


10: -     Telle que cette volonté est documentée de manière objective par le contrat existant, non amendé.


11: -     Arrêt du 3 mai 1990, Kits van Heijningen (C-2/89, Rec. p. I-1755, point 15).