Langue du document : ECLI:EU:C:2004:804

Ordonnance de la Cour

ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)
15 décembre 2004 (1)

«Taxation des dépens»

Dans l'affaire C-39/03 P-DEP,ayant pour objet une demande de taxation des dépens récupérables au titre de l'article 74 du règlement de procédure, introduite le 12 mai 2004,

Cambridge Healthcare Supplies Ltd, établie à Rackheath (Royaume‑Uni), représentée par M. D. Vaughan, QC, Mme K. Bacon, barrister, et M. S. Davis, solicitor,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. B. Wainwright et H. Støvlbæk, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

contre



LA COUR (première chambre),



composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, Mme N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues, E. Juhász et E. Levits, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. R. Grass,

l'avocat général entendu,

rend la présente



Ordonnance



1
Par un pourvoi introduit le 3 février 2003, la Commission des Communautés européennes a demandé, conformément aux articles 225 CE et 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission (T-74/00, T-76/00, T‑83/00 à T-85/00, T-132/00, T‑137/00 et T‑141/00, Rec. p. II 4945), par lequel celui-ci avait annulé, en ce qu’elles visaient les médicaments commercialisés par les seize demanderesses en première instance, au nombre desquelles figurait Cambridge Healthcare Supplies Ltd (ci‑après «Cambridge»), les décisions C (2000) 452, C (2000) 453 et C (2000) 608 de la Commission, du 9 mars 2000, concernant le retrait des autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain contenant respectivement de la phentermine [décision C (2000) 452], de l’amfépramone [décision C (2000) 453] et d’autres substances anorexigènes «de type amphétaminique», notamment de la norpseudoéphédrine, du clobenzorex et du fenproporex [décision C (2000) 608] (ci-après, ensemble, les «décisions litigieuses)».

2
Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 3 février 2003, la Commission a, en vertu de l’article 62 bis du règlement de procédure, demandé que l’affaire soit soumise à une procédure accélérée. Le président de la Cour a fait droit à cette demande.

3
Par un second acte séparé, déposé au greffe le même jour, la Commission a, en vertu de l’article 242 CE, demandé à la Cour d’ordonner le sursis à l’exécution de l’arrêt Artegodan e.a./Commission, précité. Par ordonnance du 8 mai 2003, Commission/Artegodan e.a. (C‑39/03 P‑R, Rec. p. I-4485), le président de la Cour a rejeté la demande de sursis à l’exécution dudit arrêt.

4
Par arrêt du 24 juillet 2003, Commission/Artegodan e.a. (C-39/03 P, Rec. p. I‑7885), la Cour a rejeté le pourvoi de la Commission et a condamné cette dernière aux dépens de l’instance et de celle en référé.

5
Aucun accord n’étant intervenu entre Cambridge et la Commission sur le montant des dépens récupérables, cette société a demandé à la Cour de statuer sur les dépens.

Argumentation des parties

6
Cambridge évalue les frais qu’elle a exposés dans le cadre des deux instances devant la Cour à 49 264,35 GBP (environ 70 000 euros). Cette somme se décomposerait comme suit:

honoraires et frais d’avocat 46 187,87 GBP,

frais de déplacement et de séjour à Luxembourg 3 076,48 GBP.

7
Cambridge demande en outre le paiement d’une somme de 2 500 GBP au titre des frais afférents à la présente demande de taxation.

8
Pour justifier ces montants, Cambridge a produit devant la Cour les notes d’honoraires établies par ses conseils pour la période allant du mois de mars 2000 à celui d’août 2003.

9
Au soutien de sa demande de taxation, Cambridge fait valoir que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Artegodan e.a., précité, revêtait une importance essentielle au regard du droit communautaire, en ce sens que cet arrêt a clarifié la répartition des compétences entre les États membres et la Commission en matière de sécurité des médicaments.

10
La procédure devant la Cour aurait impliqué une analyse juridique détaillée des procédures d’autorisation de mise sur le marché des médicaments dans la Communauté, ainsi qu’une étude approfondie du contexte législatif relatif à celles-ci.

11
La procédure aurait également impliqué une analyse approfondie des données scientifiques et empiriques disponibles concernant l’innocuité et l’efficacité de la phentermine.

12
Selon Cambridge, un tel travail d’analyse, effectué par trois conseils, aurait été réparti entre eux de manière à assurer que le travail exigeant le plus de temps était, dans la mesure du possible, effectué principalement par le conseil dont le taux horaire était le plus faible.

13
En outre, l’enjeu financier du litige aurait été primordial pour Cambridge qui, en mars 2000, réalisait un chiffre d’affaires d’environ 750 000 GBP par an, 35 à 40 % de celui-ci étant constitué par la vente de phentermine. La décision C (2000) 452 de la Commission, adoptée au cours dudit mois, enjoignant aux États membres de retirer les autorisations de mise sur le marché des médicaments contenant de la phentermine, aurait causé des pertes substantielles à ladite société. Si cette décision avait été maintenue, Cambridge n’aurait probablement pas pu survivre.

14
La Commission propose à la Cour de fixer le montant des dépens récupérables afférents à l’ensemble des procédures devant le Tribunal et la Cour à 50 000 euros, dont 15 000 euros pour les deux instances devant cette dernière.

15
Selon elle, Cambridge surestime considérablement l’importance de l’arrêt Commission/Artegodan e.a., précité. Si le Tribunal a annulé les décisions litigieuses pour un certain nombre de raisons qui pourraient être significatives pour le secteur pharmaceutique, ledit arrêt ne porterait, quant à lui, que sur un aspect limité.

16
L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal Artegodan e.a./Commission, précité, aurait été effectivement complexe. En revanche, le pourvoi porté devant la Cour aurait été limité à quelques points de droit spécifiques et aurait repris, dans une large mesure, des arguments déjà examinés par le Tribunal.

17
S’agissant de l’ampleur du travail effectué, la Commission estime que le nombre total d’heures de travail et les dépenses exposées auraient été moindres si Cambridge avait été représentée par un seul conseil. Certaines dépenses, telles que les frais de communication et de photocopie, relèveraient des frais généraux des cabinets d’avocats. Les frais de traduction n’auraient pas été nécessaires, les documents étant disponibles en anglais.

Appréciation de la Cour

18
Aux termes de l’article 73, sous b), du règlement de procédure, sont considérés comme dépens récupérables «les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat».

19
Le droit communautaire ne prévoyant pas de dispositions de nature tarifaire, la Cour doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit communautaire, ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a présentés pour les parties (voir, notamment, ordonnances du 30 novembre 1994, SFEI e.a./Commission, C-222/92 DEP, Rec. p. I‑5431, point 14; du 17 février 2004, DAI/ARAP e.a., C‑321/99 P-DEP, non publiée au Recueil, point 16, et du 8 juillet 2004, ICI/Commission, C‑286/95 P-DEP, non publiée au Recueil, point 17).

20
Il convient d’apprécier le montant des dépens récupérables en fonction de ces critères.

21
S’agissant des intérêts économiques que le litige a présentés pour les parties, il y a lieu de considérer, au vu des affirmations de Cambridge qui n’ont pas été contestées par la Commission, que l’issue d’un tel litige revêtait une grande importance économique pour cette société.

22
En ce qui concerne l’objet et la nature dudit litige, il importe de rappeler qu’il s’agissait d’une procédure de pourvoi, accompagnée d’une demande de sursis à l’exécution de l’arrêt Artegodan e.a./Commission, précité, et d’une demande de procédure accélérée. Dans ce contexte, il convient de relever que les pièces justificatives fournies par Cambridge, qui se rapportent à la période du 1er mars 2000 au 13 août 2003, sont constituées de notes d’honoraires établies pour différentes périodes, dont aucune ne coïncide avec la durée de la procédure devant la Cour. En l’absence d’un récapitulatif spécifique à celle-ci, la distinction entre les prestations nécessaires à cette procédure et celles liées à une activité de conseil plus large ne ressort pas de manière suffisamment claire.

23
Une procédure de pourvoi, en raison de sa nature même, est limitée aux questions de droit et n’a pas pour objet la constatation de faits.

24
En l’espèce, les moyens du pourvoi de la Commission auxquels Cambridge était tenue de répondre avaient trait à deux questions de droit.

25
La première était relative au raisonnement du Tribunal concernant le défaut de compétence de la Commission pour adopter les décisions litigieuses et portait sur l’interprétation de l’article 15 bis de la deuxième directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), telle que modifiée par la directive 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 214, p. 22).

26
À cet égard, la Cour a relevé que l’article 15 bis de la directive 75/319 s’applique aux autorisations de mise sur le marché qui ont été octroyées selon la procédure de reconnaissance mutuelle assortie de procédures d’arbitrage, prévue par le chapitre III de cette directive. Elle a jugé que ladite disposition ne peut servir de base légale à des décisions de la Commission ordonnant aux États membres de retirer les autorisations de mise sur le marché initialement octroyées dans le cadre de procédures purement nationales, même si elles ont, ultérieurement, fait l’objet d’une harmonisation partielle relative au contenu des informations cliniques concernant le produit en cause (arrêt Commission/Artegodan e.a., précité, points 44 à 51).

27
Dans ces conditions, la Cour n’a pas examiné la seconde question de droit, qui était relative à l’interprétation faite par le Tribunal des conditions de retrait des autorisations de mise sur le marché et portait sur l’interprétation de l’article 11 de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux médicaments (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par la directive 93/39.

28
Les deux questions de droit soulevées dans le pourvoi révélaient, certes, l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’imposait pas d’emblée (voir ordonnance Commission/Artegodan e.a., précitée, point 40).

29
En ce qui concerne l’ampleur du travail que les conseils de Cambridge ont été amenés à fournir dans la procédure de pourvoi, il y a lieu toutefois de relever que lesdites questions de droit étaient clairement circonscrites et qu’elles avaient déjà fait l’objet d’une analyse approfondie de la part de cette société en première instance, en sorte que les arguments qui ont été invoqués dans le cadre du pourvoi reprenaient dans une large mesure ceux qui avaient été soumis au Tribunal.

30
Il s’ensuit que, même en prenant en considération le surcroît de travail généré par la demande de sursis à l’exécution de l’arrêt Artegodan e.a./Commission, précité, et par la demande de procédure accélérée introduites par la Commission, la charge de travail occasionnée aux conseils de Cambridge a correspondu à celle d’une affaire ayant une certaine ampleur, sans pour autant être exceptionnelle.

31
Dans ces circonstances, les honoraires et frais d’avocat s’élevant à 46 187,87 GBP dont fait état Cambridge ne correspondent pas à des montants objectivement indispensables pour assurer la défense des intérêts de cette société dans le cadre du pourvoi.

32
Dans ces conditions et eu égard aux critères énoncés au point 19 de la présente ordonnance, il est approprié de fixer à 20 000 GBP le montant des honoraires et frais d’avocat récupérables, y compris ceux afférents à la présente demande de taxation.

33
En ce qui concerne les frais de voyage et de logement d’un montant de 3 076,48 GBP, exposés par les trois conseils de Cambridge aux fins d’assister à l’audience qui s’est déroulée le 10 juin 2003 devant la Cour, il y a lieu de relever que, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 29 de la présente ordonnance, la présence de trois représentants lors de cette procédure orale n’était pas indispensable. Il y a donc lieu de limiter le montant desdits frais à la somme de 2000 GBP.

34
Au vu des considérations qui précèdent, il sera fait une juste appréciation des dépens récupérables en fixant leur montant total à 22 000 GBP.




Par ces motifs, la Cour (première chambre) ordonne:

Le montant total des dépens que la Commission des Communautés européennes doit rembourser à Cambridge Healthcare Supplies Ltd est fixé à la somme de 22 000 GBP.


Signatures.


1
Langue de procédure: l'anglais.