Language of document : ECLI:EU:C:2001:504

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

MME CHRISTINE STIX-HACKL

présentées le 4 octobre 2001 (1)

Affaire C-232/99

Commission des Communautés européennes

contre

royaume d'Espagne

«Manquement d'État - Liberté d'établissement - Libre circulation des services - Libre circulation des travailleurs - Directive 93/16/CEE - Participation obligatoire à une procédure d'attribution de postes de formation à la profession de médecin spécialiste - Condition d'affiliation à un organisme de sécurité sociale de droit public pour les règlements des comptes afférents aux prestations médicales avec un organisme assureur»

I -    Objet du litige

II -    Cadre juridique

    A -    Directive 93/16/CEE

    B -    Droit national

III -    Procédure précontentieuse

IV -    Examen des moyens invoqués par la Commission

    A -    Premier moyen: transposition incorrecte de l'article 8 de la directive 93/16

    1.    Argumentation des parties

    2.    Appréciation

        a)    Sur l'obligation pour les médecins spécialistes migrants de se soumettre au MIR

            -    Réflexions d'ordre général

            -    Sur la conformité de l'article 12 bis, paragraphe 2, du décret royal avec l'article 8 de la directive 93/16

            -    Sur la conformité avec l'article 8 de la directive 93/16 de l'obligation pour les médecins spécialistes migrants de se soumettre au MIR en vertu de l'article 12 bis, paragraphe 3, du décret royal

            -    Sur la conformité de l'obligation pour les médecins spécialistes migrants de se soumettre au MIR avec le droit à la libre circulation ainsi qu'avec la liberté d'établissement et la libre prestation des services

        b)    Sur le contenu du MIR

            -    Sur l'examen des connaissances médicales de base individuelles, en tant qu'examen sur les compétences professionnelles des médecins spécialistes migrants susceptible de ne pas être couvert par l'article 8 de la directive 93/16

            -    Sur les éléments discriminatoires du MIR en tant que violation de l'article 8 de la directive 93/16

        c)    Sur l'attribution de postes spéciaux de formation spécialisée

        d)    Sur la prise en compte de la procédure de sélection de l'État d'origine en tant que justification possible

        e)    Synthèse

    B -    Deuxième moyen: défaut de transposition de l'article 18 de la directive 93/16

    1.    Argumentation des parties

    2.    Appréciation

V - Dépens

VI - Conclusion

I - Objet du litige

1.
    Par le présent recours, la Commission demande qu'il soit constaté que le royaume d'Espagne a enfreint la directive 93/16/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres (2), en ne transposant pas correctement son article 8 et en ne transposant pas son article 18 en droit espagnol.

2.
    Tout d'abord, il s'agit de savoir si l'article 8 de la directive 93/16 autorise un État membre (ci-après l'«État d'accueil») à imposer aux postulants titulaires de diplômes, certificats et titres de médecin spécialiste (ci-après les «titres de médecin spécialiste») délivrés par d'autres États membres (ci-après les «États d'origine»), qui doivent suivre une formation complémentaire de médecin spécialiste (ci-après la «formation» (3)) afin d'obtenir le titre de médecin spécialiste de l'État d'accueil (ci-après les «médecins spécialistes migrants»), de participer à une procédure d'attribution des postes dont la partie essentielle est un test comportant principalement des questions de médecine relevant de la formation de base du médecin.

3.
    En outre, il s'agit de savoir si l'article 18 de la directive 93/16 impose qu'un système national de sécurité sociale prenne en charge de façon générale le remboursement des prestations des médecins établis dans un autre État membre, même lorsque ces médecins ne sont pas affiliés à ce système.

II -    Cadre juridique

A -    Directive 93/16/CEE

4.
    Les deuxième, troisième, douzième, quinzième et vingt-deuxième considérants disposent:

«considérant que, en vertu du traité, tout traitement discriminatoire fondé sur la nationalité en matière d'établissement et de prestation de services est interdit depuis la fin de la période de transition; que le principe du traitement national ainsi réalisé s'applique notamment à la délivrance d'une autorisation éventuellement exigée pour l'accès aux activités du médecin, ainsi qu'à l'inscription ou à l'affiliation à des organisations ou à des organismes professionnels;

considérant qu'il apparaît cependant indiqué de prévoir certaines dispositions visant à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation des services du médecin;

[...]

considérant que, en cas de prestation de services, l'exigence d'une inscription ou d'une affiliation aux organisations ou organismes professionnels, laquelle est liée au caractère stable et permanent de l'activité exercée dans le pays d'accueil, constituerait incontestablement une gêne pour le prestataire en raison du caractère temporaire de son activité; qu'il convient donc de l'écarter; qu'il y a lieu cependant, dans ce cas, d'assurer le contrôle de la discipline professionnelle relevant de la compétence de ces organisations ou organismes professionnels; qu'il convient de prévoir, à cet effet, et sous réserve de l'application de l'article 62 du traité, la possibilité d'imposer au bénéficiaire l'obligation de notifier la prestation de services à l'autorité compétente de l'État membre d'accueil;

[...]

considérant que la coordination des conditions d'exercice prévue par la présente directive n'exclut pas pour autant une coordination ultérieure;

[...]

considérant que la présente directive n'affecte pas la compétence des États membres d'organiser leur régime national de sécurité sociale et de déterminer quelles activités doivent être exercées dans le cadre de ce régime».

5.
    L'article 2 (reconnaissance de la formation de base du médecin) énonce:

«Chaque État membre reconnaît les diplômes, certificats et autres titres délivrés aux ressortissants des États membres par les autres États membres conformément à l'article 23 et énumérés à l'article 3, en leur donnant, en ce qui concerne l'accès aux activités du médecin et l'exercice de celles-ci, le même effet sur son territoire qu'aux diplômes, certificats et autres titres qu'il délivre.»

6.
    Les articles 4 et 6 (reconnaissance de la formation de médecin spécialiste) énoncent:

«Chaque État membre reconnaît les diplômes, certificats et autres titres de médecin spécialiste délivrés aux ressortissants des États membres par les autres États membres conformément aux articles 24, 25, 26 et 29 et énumérés à l'article 5, en leur donnant le même effet sur son territoire qu'aux diplômes, certificats et autres titres qu'il délivre.»

«Chaque État membre qui connaît des dispositions législatives, réglementaires et administratives en la matière reconnaît les diplômes, certificats et autres titres de médecin spécialiste délivrés aux ressortissants des États membres par les autres États membres conformément aux articles 24, 25, 27 et 29 et énumérés à l'article 7, en leur donnant le même effet sur son territoire qu'aux diplômes, certificats et autres titres qu'il délivre.»

7.
    L'article 8 énonce:

«1. Chaque État membre d'accueil peut exiger des ressortissants des États membres, désireux d'obtenir l'un des diplômes, certificats ou autres titres de formation de médecin spécialiste non visés aux articles 4 et 6 ou qui, bien que visés à l'article 6, ne sont pas délivrés dans un État membre d'origine ou de provenance, qu'ils remplissent les conditions de formation prévues à cet égard par ses propres dispositions législatives, réglementaires et administratives.

2. L'État membre d'accueil tient compte toutefois, en tout ou en partie, des périodes de formation accomplies par les ressortissants visés au paragraphe 1 et sanctionnées par un diplôme, certificat ou autre titre de formation délivré par les autorités compétentes de l'État membre d'origine ou de provenance, lorsque lesdites périodes correspondent à celles requises dans l'État membre d'accueil pour la formation spécialisée en cause.

3. Les autorités ou organismes compétents de l'État membre d'accueil, ayant vérifié le contenu et la durée de la formation spécialisée de l'intéressé sur la base des diplômes, certificats et autres titres présentés, l'informent de la durée de formation complémentaire ainsi que des domaines englobés par celle-ci.»

8.
    L'article 18 dispose:

«Lorsque, dans un État membre d'accueil, pour régler avec un organisme assureur les comptes afférents aux activités exercées au profit d'assurés sociaux, il faut être inscrit à un organisme de sécurité sociale de droit public, cet État membre, en cas de prestation de services entraînant le déplacement du bénéficiaire, dispense de cette exigence les ressortissants des États membres établis dans un autre État membre.

Toutefois, le bénéficiaire informe préalablement ou, en cas d'urgence, ultérieurement, cet organisme de sa prestation de services.»

B -    Droit national

9.
    L'article 12 bis du Real Decreto 1691/1989 (4) (ci-après l'«article 12 bis du décret royal») régit les conditions d'acquisition du titre espagnol de médecin spécialiste par les personnes ayant déjà acquis des titres relatifs à des périodes de formation spécialisée dans d'autres États membres.

10.
    L'annexe II de l'article 12 bis du décret royal comporte des listes des titres de médecin spécialiste qui sont reconnus en Espagne conformément aux articles 4 et 6 de la directive 93/16. Pour tous les titres de médecin spécialiste qui ne figurent pas dans cette annexe, l'article 12 bis, paragraphe 2, du décret royal dispose que les périodes de formation à la profession de médecin spécialiste de l'État d'origine doivent être évaluées, d'après des critères déterminés, en fonction de leur équivalence avec les titres espagnols de médecin spécialiste et que, le cas échéant, les médecins spécialistes migrants sont informés qu'ils doivent suivre une formation complémentaire ainsi que du contenu et de la durée de celle-ci.

11.
    L'article 12 bis, paragraphe 3, du décret royal énonce que la formation complémentaire doit s'effectuer à des postes de formation au sein d'institutions reconnues pour la spécialisation en cause. Les médecins spécialistes migrants doivent solliciter leur admission à ces postes et se soumettre à une procédure d'attribution des postes dans les mêmes conditions que tous les autres postulants à un poste de formation à la profession de médecin spécialiste.

12.
    La procédure d'attribution des postes est réglementée par le Real Decreto 127/1984. Pour l'essentiel, elle consiste en une évaluation des résultats obtenus lors de la formation de base du médecin ainsi qu'en la réussite à un test de sélection (questionnaire à choix multiple). La désignation usuelle en Espagne de la procédure d'attribution des postes est le «MIR» (Medico Interno Residente, ci-après le «MIR»).

13.
    En vertu de l'article 12 bis, paragraphe 4, du décret royal, le médecin spécialiste migrant n'est pas tenu de se soumettre au MIR lorsqu'il a réussi une épreuve nationale de sélection dans l'État d'origine avant d'accomplir sa période de formation à la profession de médecin spécialiste. Dans ce cas, la formation complémentaire se déroule à un poste dans la spécialité en cause, auquel l'autorité espagnole compétente affecte le médecin spécialiste migrant.

14.
    Selon le Real Decreto 63/1995, les prestations médicales ne sont en principe remboursées par le système national de santé (Sistema Nacional de Salud) que si elles ont été fournies à l'assuré par des médecins ou dans des centres de soins qui font partie du système national de santé. Cette règle s'applique sans préjudice des «conventions internationales» contraires.

15.
    Une dérogation est prévue pour les cas d'urgence. Les prestations médicales fournies en dehors du système national de santé sont remboursées lorsqu'il peut être prouvé que les services des médecins ou des centres de soins de ce système n'ont pu être utilisés en temps opportun et qu'il ne s'agit pas d'une utilisation frauduleuse de cette dérogation.

III -    Procédure précontentieuse

16.
    Les articles 8 et 18 de la directive 93/16, pertinents en l'espèce, sont totalement identiques aux articles 8 et 17 de la directive 75/362/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de médecin et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services (5), qui a été abrogée par la directive 93/16. En vertu de l'article 44 combiné avec l'annexe III, parties A et B, et le tableau de correspondance de l'annexe IV, les articles 8 et 18 de la directive 93/16 devaient en principe faire l'objet d'une transposition dans le délai fixé par la directive 75/362 pour ses articles 8 et 17. En raison de son adhésion ultérieure aux Communautés européennes, le royaume d'Espagne bénéficiait d'un délai particulier; la note en bas de page (*) de l'annexe III, partie B, indique qu'il avait jusqu'au 1er janvier 1986 pour adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives requises.

17.
    Dès 1990, alors que la directive 75/362 était encore en vigueur, la Commission a engagé une procédure précontentieuse à l'encontre du royaume d'Espagne, au cours de laquelle le gouvernement espagnol a inséré l'actuel article 12 bis dans le décret royal.

18.
    Toutefois, puisque la Commission continuait à estimer que la directive 75/362 ou, après son entrée en vigueur, la directive 93/16 n'avaient pas été transposées correctement en droit espagnol, elle a poursuivi la procédure en manquement. Après avoir invité le gouvernement espagnol à présenter ses observations dans une «lettre de mise en demeure complémentaire», elle a émis, le 10 août 1998, un avis motivé «complémentaire» lui enjoignant de prendre les mesures requises dans les deux mois suivant la réception de l'avis. Le gouvernement espagnol y a répondu par lettre du 23 novembre 1998. Cette lettre ne dissipant toujours pas les doutes de la Commission, celle-ci a formé le présent recours, qui a été inscrit le 17 juin 1999 au registre de la Cour de justice.

19.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

1)    constater que le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/16,

    -    en ne transposant pas correctement l'article 8 de la directive 93/16 et

    -    en ne transposant pas l'article 18 de la directive 93/16.

2)    condamner le royaume d'Espagne aux dépens.

IV -    Examen des moyens invoqués par la Commission

A -    Premier moyen: transposition incorrecte de l'article 8 de la directive 93/16

1.    Argumentation des parties

20.
    Par le premier moyen, la Commission fait grief au royaume d'Espagne de n'avoir pas transposé correctement l'article 8 de la directive 93/16 à l'article 12 bis du décret royal, au motif que, pour accéder à la formation de médecin spécialiste, les médecins spécialistes migrants doivent eux aussi réussir la procédure d'attribution des postes qu'est le MIR, bien qu'ils n'aient besoin de postes de formation que pour suivre la formation complémentaire au sens de l'article 8, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/16.

21.
    En premier lieu, la Commission soutient que leur participation obligatoire au MIR est illicite d'après la directive 93/16, au motif que, d'après le système de la directive, la reconnaissance des formations de médecin spécialiste acquises dans d'autres États membres ne peut pas être refusée en principe. Cela ressort de l'arrêt de la Cour Vlassopoulou (6). D'après la lettre et la finalité de l'article 8 de la directive 93/16, les médecins spécialistes migrants ont un droit à l'acquisition de la formation complémentaire.

22.
    Le MIR est un examen complémentaire, qui est illicite au motif que l'article 8, paragraphe 3, de la directive 93/16 ne permet à l'État d'accueil que d'évaluer la formation de médecin spécialiste dans l'État d'origine au vu des titres et d'ordonner, si nécessaire, une formation complémentaire, mais non une vérification des connaissances spécialisées individuelles.

23.
    En réponse à l'argument du gouvernement espagnol selon lequel seul un nombre restreint de postes de formation spécialisée peut être offert chaque année en Espagne pour des raisons budgétaires, la Commission fait valoir en substance que, en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour, les raisons budgétaires ne dispensent pas du respect des obligations issues du droit communautaire.

24.
     Concernant l'argument du gouvernement espagnol selon lequel soumettre les médecins spécialistes migrants au MIR doit permettre d'exclure les cas de fraude, la Commission doute que la procédure de l'article 8 de la directive 93/16 se prête à une utilisation frauduleuse. Elle fait tout d'abord valoir que, en vertu dudit article, l'accès à la formation complémentaire ne doit être accordé qu'aux personnes ayant reçu une formation complète de médecin spécialiste conformément à la réglementation de l'État d'origine. Par ailleurs, la Commission renvoie à la jurisprudence constante de la Cour (7) au sujet des possibilités et des limites lorsqu'il s'agit d'éviter que le droit communautaire soit utilisé pour contourner l'application du droit national.

25.
    La Commission conteste également la forme du MIR. Elle soutient que les résultats obtenus lors de la formation de base sont évalués au vu du programme de la formation espagnole, ce qui désavantage les candidats ayant obtenu une formation de base de médecin dans d'autres États membres. En outre, le contenu du questionnaire à choix multiple auquel sont soumis les médecins spécialistes migrants dans le cadre du MIR correspond à un examen sur le contenu de la formation de base de médecin. Cela est illicite, étant donné que la directive 93/16 impose la reconnaissance automatique des formations de base de médecin. En tout état de cause, soumettre au même test les médecins spécialistes migrants et les médecins ayant une formation de base est disproportionné (8).

26.
    Enfin, la Commission estime que l'incompatibilité du droit espagnol avec la directive 93/16 subsiste malgré la dérogation prévue à l'article 12 bis, paragraphe 4, du décret royal, qui exempte le médecin spécialiste migrant du MIR lorsqu'il a été soumis à une épreuve de sélection pour accéder à la formation spécialisée dans l'État d'origine. Les médecins spécialistes migrants qui ont suivi leur formation spécialisée dans l'État d'origine sans que l'accès à la formation soit limité doivent encore se soumettre au MIR. L'objection selon laquelle les autorités espagnoles interprètent en termes très larges l'article 12 bis du décret royal dans la pratique et que la majorité des médecins spécialistes migrants profitent donc de la dérogation n'est pas acceptable, car la Cour de justice a affirmé dans une jurisprudence constante (9) qu'une pratique administrative conforme au droit communautaire n'élimine pas l'illicéité des dispositions nationales contraignantes.

27.
    En dernier lieu, la Commission critique le fait que, même en cas de «réussite» au MIR, le médecin spécialiste migrant n'a pas la garantie d'obtenir le poste de formation spécialisée qui lui est nécessaire dans le cadre de la formation complémentaire.

28.
    Le gouvernement espagnol estime que ni la limitation des postes de formation spécialisée, ni la procédure d'attribution des postes qu'est le MIR en tant que telle, ni son contenu ne peuvent être contestés au regard du droit communautaire.

29.
    Sur la limitation des postes de formation spécialisée, il fait valoir que l'article 8 de la directive 93/16 ne confère aux médecins spécialistes migrants que le droit de voir évaluer les périodes de formation spécialisée qu'ils ont accomplies hors d'Espagne et de voir fixer, le cas échéant, le contenu et la durée de la formation complémentaire qui est nécessaire. Toutefois, la directive n'exige pas que les États membres mette à leur disposition à cet effet des postes de formation de façon illimitée ou en écartant l'application de la procédure nationale d'attribution des postes.

30.
    La limitation des postes de formation est dictée par l'intérêt général et n'est donc pas contraire au droit communautaire. En premier lieu, il convient de mentionner les raisons budgétaires, qui dérivent notamment du fait que les activités exercées dans le cadre de la formation spécialisée doivent être rémunérées de façon adéquate, conformément à un arrêt de la Cour (10). En deuxième lieu, il existe déjà une offre excédentaire importante de médecins spécialistes formés; le royaume d'Espagne dispose de la densité de médecins la plus élevée de tous les États de l'Union européenne (11).

31.
    Le MIR n'est qu'une procédure d'attribution des postes limités de formation et non un examen d'aptitude ou d'entrée. L'obligation d'y participer pour les médecins spécialistes migrants ne constitue donc pas un examen portant sur les compétences professionnelles supplémentaire non couvert par l'article 8 de la directive. Certes, le questionnaire à choix multiple contient des questions relevant de domaines faisant également l'objet de la formation de base du médecin. Cependant, le gouvernement espagnol se fonde à cet égard sur une distinction entre «examen» et «procédure d'attribution des postes». Lors d'un «examen», l'admission à la formation de médecin spécialiste dépend de la réussite à un test au sens où chaque candidat qui réussit le test peut suivre la formation spécialisée. Lors d'une «procédure d'attribution des postes», l'octroi d'un poste de formation à la profession de médecin spécialiste est en revanche indépendante de la réussite individuelle au test. Par conséquent, lorsque le nombre des places disponibles chaque année est attribué aux candidats qui se sont le mieux placés, indépendamment de la réussite ou non au test, il ne s'agit pas d'un examen mais d'une «procédure d'attribution des postes» - ce qui est le cas du MIR.

32.
    Si des spécialisations sont particulièrement demandées, des postes de formation spéciaux sont attribués aux meilleurs de la promotion conformément à l'ordre des résultats au MIR.

33.
    Selon le gouvernement espagnol, il est indispensable que la participation des médecins spécialistes migrants au MIR soit obligatoire, puisqu'il s'agit de la seule manière d'éviter que les candidats ayant reçu une formation de base en Espagne fassent un usage frauduleux du droit communautaire. Il estime en effet que l'article 8 de la directive 93/16 est également applicable lorsque des titres attestant de périodes de formation relatives aux spécialités médicales d'un État membre sont présentés, alors qu'en tant que tels ils n'attestent pas d'une formation de médecin spécialiste menée à son terme dans l'État d'origine. Le gouvernement espagnol fait valoir que, si l'on suivait l'avis de la Commission, des médecins ayant acquis une formation de base en Espagne pourraient, le cas échéant, se contenter de suivre de courtes périodes de formation spécialisée dans d'autres États membres, dans le seul but d'avoir accès à un poste espagnol de formation spécialisée en se soustrayant au MIR grâce à la voie que leur ouvre visiblement l'article 8 (12).

34.
    Le gouvernement espagnol soutient qu'il n'y a pas non plus lieu de remettre en cause le contenu du MIR. L'attribution de postes de formation par le biais du MIR n'est pas discriminatoire puisqu'elle est la même pour tous les postulants. Même les postulants ayant déjà terminé une formation de médecin spécialiste en Espagne doivent se soumettre au MIR s'il désirent se former à une autre spécialisation, quand bien même ils auraient exercé pendant plusieurs années.

35.
    La sélection des candidats aux postes de formation spécialisée s'effectue en fonction de leur mérite et de leurs aptitudes. Ceux-ci sont vérifiés d'après les résultats obtenus pour la formation médicale de base, appréciés en vertu d'un critère standardisé, et sur la base de la liste des meilleurs candidats au questionnaire à choix multiple. Opérer la sélection en fonction du niveau des connaissances médicales spécialisées individuelles sert l'intérêt de la collectivité qui est de disposer de médecins compétents et il s'agit du critère d'attribution des postes le plus objectif en vue de la qualité du système de santé.

36.
    Enfin, selon le gouvernement espagnol, l'article 12 bis, paragraphe 4, du décret royal, qui prévoit la prise en compte des procédures de sélection qui ont, le cas échéant, été exigées dans l'État d'origine avant les périodes de formation qui y ont été accomplies, constitue une possibilité de dérogation qui garantit la conformité au droit communautaire de l'ensemble de l'article 12 bis. Cette dérogation est très fréquemment utilisée en pratique. Comme la majorité des États membres ont limité, d'une façon ou d'une autre, l'accès à la formation de médecin spécialiste (que ce soit sous forme d'entretiens de sélection ou de tests de sélection formels), le royaume d'Espagne soutient que jusqu'à présent tous les médecins spécialistes migrants ont obtenu un poste de formation en vue de suivre la formation complémentaire, sans avoir à se soumettre au MIR.

2.    A Appréciation

37.
    Le grief de la Commission selon lequel le royaume d'Espagne n'a pas transposé correctement l'article 8 de la directive 93/16 se compose de deux critiques. D'une part, la Commission s'oppose de façon générale au caractère obligatoire de la participation au MIR pour les médecins spécialistes migrants. D'autre part, elle conteste le contenu du MIR, principalement parce que le niveau des connaissances médicales individuelles constitue, selon elle, un critère déterminant dans le cadre de cette procédure.

a)    Sur l'obligation pour les médecins spécialistes migrants de se soumettre au MIR

38.
    L'appréciation à porter en droit communautaire sur les dispositions espagnoles en la matière dépend essentiellement de la finalité de la réglementation contestée. Nous ferons donc quelques réflexions d'ordre général à cet égard.

-    Réflexions d'ordre général

39.
    En instaurant le MIR, le gouvernement espagnol a incontestablement limité l'accès à la formation de médecin spécialiste. Selon l'argumentation du gouvernement espagnol, cette limitation vise principalement à réguler le marché des activités des médecins spécialistes.

40.
    Les régulations du marché opérées par l'État reposent principalement sur des considérations sociopolitiques ou économiques. Les États membres sont en principe maîtres de leurs choix en la matière (13). Toutefois, ils sont souvent liés par les prescriptions du droit communautaire dérivé quant au choix de la forme de la régulation du marché. Différentes formes de régulation du marché doivent être distinguées.

41.
    Pour les salariés et les travailleurs indépendants - tels que les médecins spécialistes - il existe des régulations du marché qui réglementent l'activité de ces opérateurs et des régulations qui fonctionnent en amont, en réglementant l'accès au marché en fonction de critères déterminés. Parmi ce dernier type de régulation, une distinction peut à nouveau être faite, qu'il s'agisse de limitations quantitatives (par exemple, les concessions ou les quotas) et les limitations qualitatives de l'accès au marché.

42.
    Les limitations qualitatives de l'accès au marché répondent à différents objectifs. Au premier rang de ceux-ci se trouvent les conditions de qualification professionnelle minimale des opérateurs; ce sont précisément les qualifications professionnelles minimales - ainsi que le montre la jurisprudence abondante de la Cour dans ce domaine (14) - que les États peuvent utiliser pour n'accorder l'accès au marché aux opérateurs d'autres États membres qu'à des conditions plus sévères ou afin de les tenir totalement à l'écart du marché. Une autre forme caractéristique de limitation qualitative de l'accès au marché est l'exigence de titres relatifs à la «moralité ou l'honorabilité». D'autres formes de limitations qualitatives de l'accès au marché sont également envisageables, telles que l'exigence de ressources financières minimales pour un opérateur, etc.

43.
    Les directives dites «directives reconnaissance (des diplômes)» (15) de la Communauté doivent réglementer, sous la forme de l'harmonisation, les compétences des États membres sur la question de savoir si et dans quelle mesure ils sont autorisés à appliquer certaines formes de limitation qualitative de l'accès au marché (qualification professionnelle minimale, en partie aussi moralité ou honorabilité) aux futurs opérateurs d'autres États membres.

44.
    La directive 93/16 est l'une de ces directives reconnaissance des diplômes. Ses articles 11 et suivants contiennent des règles relatives à un certain type de limitations qualitatives de l'accès au marché pour les médecins spécialistes d'autres États membres, à savoir celles concernant les attestations de moralité ou d'honorabilité et de santé physique ou psychique. Les articles 4 à 8 de la directive contiennent des règles d'une autre nature sur la limitation qualitative de l'accès au marché, à savoir l'exigence de qualifications professionnelles minimales pour les médecins spécialistes d'autres États membres.

45.
    Concernant la réglementation des compétences des États membres dans le cadre de cette dernière catégorie de limitations qualitatives de l'accès au marché (qualifications professionnelles minimales pour les médecins), le système de la directive est le suivant: elle commence par instaurer une obligation mutuelle de reconnaissance de la formation de base du médecin (articles combinés 2 et 3). Pour les formations spécialisées, la directive contient une réglementation différenciée selon les spécialités. Tout d'abord, elle contient une liste des dénominations des spécialités communes à tous les États membres, c'est-à-dire que celles-ci doivent être reconnues purement et simplement (articles 4 et 5). Suit une liste de dénominations qui n'existent pas dans tous les États membres. Celles-ci ne sont donc reconnues mutuellement que par les États membres qui sont cités expressément dans cette liste sous la dénomination en cause (articles 6 et 7). Dans ces diverses listes figurent la majorité de toutes les dénominations reconnues dans les États membres.

46.
    L'article 8 de la directive 93/16 porte sur le reste des spécialités, à savoir celles qui, tout en existant dans l'État d'accueil et éventuellement aussi dans d'autres États membres, n'existent pas dans l'État d'origine du médecin spécialiste migrant. Les paragraphes 2 et 3 autorisent en pareil cas l'État d'accueil à subordonner l'accès à la profession de médecin spécialiste à la condition qu'il suive une «formation complémentaire». Si le contenu et la durée de celle-ci sont déterminés par l'État d'accueil, ce dernier doit toutefois «reconnaître» toutes les unités de qualification acquises au cours des périodes de formation spécialisées de l'État d'origine.

47.
    À partir de la distinction entre les limitations quantitatives et qualitatives de l'accès au marché ainsi que de la différenciation opérée au sein des limitations qualitatives de l'accès au marché, il convient maintenant d'analyser la signification de l'article 8 de la directive 93/16 et d'examiner si l'obligation des médecins spécialistes migrants de se soumettre au MIR relève en tant que telle du champ d'application de cette disposition.

-    Sur la conformité de l'article 12 bis, paragraphe 2, du décret royal avec l'article 8 de la directive 93/16

48.
    Concernant le grief de la Commission selon lequel le royaume d'Espagne n'a pas transposé correctement l'article 8 de la directive 93/16, il convient tout d'abord de constater que l'article 12 bis, paragraphe 2, du décret royal constitue pour l'essentiel une répétition des conditions de l'article 8, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/16 en ce qui concerne la nécessité et le contenu de la «formation complémentaire» des médecins spécialistes migrants. Dans cette mesure, le contenu de la disposition en cause ne semble donc pas devoir être contesté en principe.

49.
    Pour cette raison, la Commission n'est pas fondée à invoquer l'obligation des États membres, posée par la Cour dans sa décision de principe dans l'affaire Vlassopoulou (16), de reconnaître de façon générale toutes les unités de qualification acquises dans un autre État membre. En vertu de l'article 12 bis, paragraphe 2, du décret royal, le royaume d'Espagne tient compte du contenu et de la durée des formations spécialisées d'autres États membres, si et dans la mesure où celles-ci sont utilisables dans des cas particuliers en Espagne pour une formation nécessaire dans une certaine spécialité.

-    Sur la conformité avec l'article 8 de la directive 93/16 de l'obligation pour les médecins spécialistes migrants de se soumettre au MIR en vertu de l'article 12 bis, paragraphe 3, du décret royal

50.
    L'article 12 bis du décret royal contient en outre au paragraphe 3 l'obligation pour les médecins spécialistes migrants de se soumettre à la procédure d'attribution des postes qu'est le MIR avant de suivre la «formation complémentaire» lorsqu'ils souhaitent obtenir le poste de formation qui est nécessaire. En raison du nombre trop élevé de candidats, il n'est pas sûr qu'ils obtiennent ce poste tôt ou tard. Cependant, la Commission est visiblement d'avis que l'article 8 de la directive 93/16 exige que l'accès des médecins spécialistes migrants à un poste de formation spécialisée soit garanti.

51.
    En conséquence, il convient de se demander si les règles sur l'accès aux postes de formation spécialisée, qui, entre autres finalités, limitent à l'évidence l'accès au marché correspondant, relèvent du champ d'application de la directive 93/16 et si ces limitations s'imposent aux États membres.

52.
    À la lumière des développements ci-dessus relatifs aux diverses formes de limitation de l'accès au marché, il s'agit là d'une limitation quantitative de l'accès au marché. Toutefois la finalité de la directive 93/16 est en premier lieu de supprimer ou de restreindre les limitations qualitatives de l'accès au marché (qualification professionnelle minimale).

53.
    Il y a donc lieu d'examiner si l'article 8 de la directive 93/16 sur la réglementation de la limitation qualitative de l'accès au marché s'applique de façon générale à toutes les limitations de l'accès au marché pour les médecins spécialistes migrants et impose leur suppression. En d'autres termes, il y a lieu de poser la question suivante: l'article 8 a-t-il seulement pour objet l'adaptation, conformément au droit communautaire, de la limitation qualitative de l'accès au marché qu'est la «qualification professionnelle minimale» - qui est certainement la plus fréquente dans la pratique pour les médecins spécialistes migrants? Ou l'article 8 a-t-il aussi pour objet un accès illimité au marché pour les médecins spécialistes migrants avec pour conséquence que ceux-ci doivent se voir conférer un droit à l'attribution d'un poste de formation spécialisée?

54.
    Cette question ne peut recevoir de réponse qu'à l'aide d'une interprétation replaçant l'article 8 dans le contexte général de la directive 93/16.

55.
    Pour les dénominations énumérées aux articles 5 et 7 de la directive 93/16, qui doivent être reconnues immédiatement, les articles 4 et 6 de la directive 93/16 disposent que les titres de l'État d'origine doivent se voir conférer «le même effet» que les titres de l'État d'accueil. Abstraction faite, le cas échéant, d'autres limitations qualitatives de l'accès au marché (17) que la qualification professionnelle minimale, il y a lieu de penser, a priori, que les limitations quantitatives de l'accès au marché existant de façon générale dans l'État d'accueil ne relèvent pas de la directive 93/16.

56.
    Cependant, si la directive 93/16 ne régit que la «reconnaissance» de ce qui constitue manifestement la majorité des dénominations de spécialités au sens d'une suppression de la limitation spéciale de l'accès au marché constituée par les «conditions de qualification professionnelle minimale des médecins», il semble difficile de justifier pourquoi précisément l'article 8 de la directive, qui porte uniquement sur certaines dénominations de spécialités, qui n'existent peut-être que dans l'État d'accueil, devrait imposer de supprimer les limitations de l'accès au marché de façon plus large que d'autres dispositions de la directive pour la majorité de toutes les dénominations existant dans la Communauté, qui y est réglementé.

57.
    Cette interprétation du contenu normatif de la directive 93/16 est renforcée par divers considérants. Le troisième considérant dispose que la directive doit «faciliter» l'exercice effectif des libertés fondamentales des médecins. Il ressort nettement de quelques considérants que, si la directive facilite l'accès aux marchés nationaux pour les médecins, elle n'envisage pas un accès illimité à ces marchés. Ainsi, le troisième considérant énonce expressément qu'il est indiqué de prévoir «certaines» dispositions visant à faciliter [...] et le quinzième considérant «n'exclut pas une coordination ultérieure».

58.
    Il convient ainsi de garder à l'esprit qu'il ne peut être déduit d'aucun passage de la directive 93/16 avec la précision et la clarté suffisantes qu'elle a pour objectif une harmonisation de toutes les possibilités et limites de la régulation du marché dans le domaine des activités des médecins spécialistes.

59.
    Dans la mesure où l'article 12 bis, paragraphe 3, du décret royal a instauré la participation obligatoire des médecins spécialistes migrants au MIR en tant qu'instrument de régulation quantitative du marché, son contenu normatif n'est pas inclus dans le champ d'application de l'article 8 de la directive 93/16 (18). Dans la mesure où ledit article subordonne l'obtention d'un poste de formation pour les médecins spécialistes migrants à la participation correspondante à une procédure d'attribution des postes, l'article 12 bis du décret royal ne saurait donc, en soi, constituer un manquement du royaume d'Espagne en tant que violation de la directive 93/16.

-    Sur la conformité de l'obligation pour les médecins spécialistes migrants de se soumettre au MIR avec le droit à la libre circulation ainsi qu'avec la liberté d'établissement et la libre prestation des services

60.
    Au cours de la procédure, la Commission et le royaume d'Espagne ont mené une discussion approfondie sur la question de savoir si la participation obligatoire des médecins spécialistes migrants au MIR, eu égard aux objectifs de ce dernier (raisons de politique budgétaire, régulation quantitative du marché de la médecine de spécialité pour des raisons de politique de la santé, prévention des fraudes), constitue une restriction des libertés fondamentales [notamment la libre circulation des travailleurs ainsi que le libre établissement et la libre prestation des services, articles 49 et 57 du traité CE (devenus, après modification, articles 40 CE et 47 CE) ainsi qu'article 66 du traité CE (devenu article 55 CE)] qui est incompatible avec le droit communautaire.

61.
    Si l'on considère, conformément aux développements ci-dessus, que l'article 8 de la directive 93/16 n'a qu'un champ d'application déterminé (réglementation de la limitation qualitative de l'accès au marché dénommée «conditions professionnelles minimales pour les médecins spécialistes»), il est toutefois inexact que son contenu est totalement identique au domaine de la protection des libertés fondamentales susmentionnées.

62.
    Les doutes de la Commission à l'encontre de l'application des limitations quantitatives de l'accès au marché (participation obligatoire au MIR) aux médecins spécialistes migrants ne peuvent donc être compris que dans le sens où elle entend invoquer de la sorte une violation du domaine de protection beaucoup plus large des libertés fondamentales susmentionnées.

63.
    En l'espèce toutefois, la question de la compatibilité de l'article 12 bis, paragraphe 3, du décret royal avec le droit primaire ne peut pas être examinée plus en détail, puisque la Commission s'est limitée au grief de la transposition incorrecte de l'article 8 de la directive 93/16 dans sa requête. Dans une jurisprudence constante, la Cour a affirmé clairement que, dans le cadre d'un recours en manquement, «le litige doit être circonscrit aux griefs précis invoqués dans les conclusions du recours» (19).

64.
    Dans ses conclusions récentes du 31 mai 2001, présentées dans l'affaire Commission/Italie (20), l'avocat général Léger a admis une exception à ce principe pour les cas où la Commission a invoqué, tout au long de la procédure, tous les fondements juridiques (en l'espèce, il s'agissait des dispositions d'une directive) qui ont été enfreints selon elle de façon précise et inchangée mais qu'elle n'a conclu qu'à la constatation d'une violation de «ladite directive». Il estime que la place des citations précises dans la requête importe peu en pareil cas et que le caractère imprécis des conclusions suffit pour procéder à l'examen exhaustif des dispositions en cause.

65.
    À cet égard, il y a lieu de faire observer que les faits de l'affaire Commission/Italie (C-202/99) sont comparables à ceux de la présente espèce dans la mesure où la Commission a invoqué la violation de fondements juridiques déterminés tout au long de la procédure mais non dans ses conclusions. Toutefois, la principale différence est qu'il s'agit en l'espèce de dispositions du droit primaire et dérivé et que, tout au long de la procédure, la Commission est manifestement partie du principe que le champ d'application de l'article 8 de la directive 93/16 est en grande partie identique à celui des dispositions du droit primaire qu'elle invoque, ce qui est exact selon nous. C'est seulement dans cette hypothèse qu'il paraît compréhensible que la Commission ait limité la première partie de ses conclusions au grief de la violation de la disposition du droit dérivé de l'article 8 de la directive 93/16. Cette opinion relative au contenu de ladite disposition du droit dérivé est manifestement confirmée, en l'espèce, par la limitation correspondante des griefs dans les conclusions. Il ne saurait être remédié à une telle limitation des conclusions permettant simplement à la Commission de se contenter d'examiner - outre les dispositions de droit dérivé jugées par elle applicables - les dispositions de droit primaire qu'elle considère pertinentes, uniquement dans le cadre des dispositions de droit dérivé.

66.
    Il convient de noter expressément que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, les libertés fondamentales en cause peuvent parfaitement être en contradiction avec les régulations du marché les plus variées, sous certaines conditions (21). Par conséquent, les États membres ne peuvent - en substance - limiter l'accès aux marchés nationaux en se contentant d'invoquer l'intérêt général et ces limitations doivent être appropriées et nécessaires au regard de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire être conformes au principe de proportionnalité.

67.
    En vertu des réflexions ci-dessus, seules les conclusions expresses peuvent être prises en compte, même si cela semble insatisfaisant, et le manquement du fait de l'article 12 bis du décret royal ne peut être examiné que vis-à-vis de l'article 8 de la directive 93/16.

68.
    En résumé, nous pouvons tirer comme première conclusion partielle que l'article 12 bis, paragraphe 2, du décret royal constitue une transposition correcte de l'article 8 de la directive 93/16 et que l'article 12 bis, paragraphe 3, du décret royal - dans la mesure où il oblige les médecins spécialistes migrants à se soumettre au MIR - n'est pas inclus dans le champ d'application de l'article 8 de la directive 93/16.

b)    Sur le contenu du MIR

69.
    S'il était appliqué sans restriction aux médecins spécialistes migrants, il se pourrait que le contenu du MIR soit incompatible avec l'article 8 de la directive 93/16 pour deux raisons. En premier lieu, il se pourrait que le MIR comporte un examen des connaissances médicales individuelles de base non prévu à l'article 8 de la directive 93/16. En deuxième lieu, le critère des connaissances médicales de base individuelles dans le cas des médecins spécialistes migrants pourrait constituer une discrimination illicite.

-    Sur l'examen des connaissances médicales de base individuelles, en tant qu'examen sur les compétences professionnelles des médecins spécialistes migrants susceptible de ne pas être couvert par l'article 8 de la directive 93/16

70.
    L'article 8 de la directive 93/16 régit les conditions et le cadre dans lequel l'État d'accueil peut poser des conditions de qualification supplémentaires aux médecins spécialistes migrants auxquels ledit article s'applique. Cette condition consiste en une «formation complémentaire», dont la nécessité, le contenu et la durée ne peuvent être appréciés qu'en fonction du contenu et de la durée de la formation spécialisée dans l'État membre, attestés par des titres. Si l'on n'entend pas remettre en cause la finalité de la directive 93/16 (harmonisation de la reconnaissance des qualifications minimales des médecins spécialistes), il faut sans aucun doute considérer cette disposition comme étant exhaustive concernant les conditions de qualification.

71.
    Dans cette mesure, c'est à bon droit que la Commission fait valoir qu'un examen supplémentaire, surtout celui des connaissances médicales de base, ne doit pas être exigé des médecins spécialistes migrants. La question se pose donc de savoir si la participation au questionnaire à choix multiple du MIR doit être effectivement considérée comme un «examen» en ce sens.

72.
    En premier lieu, il convient de constater que la délimitation entre une procédure d'attribution des postes et un examen, telle que l'a présentée le gouvernement espagnol, semble «technique» et de ce fait peu utile, parce qu'il n'est absolument pas inhabituel d'assimiler la «réussite à un examen» à la «réussite des candidats les mieux placés».

73.
    La question de la compatibilité du contenu du MIR avec les conditions énoncées à l'article 8 de la directive 93/16 est au contraire résolue dans le contexte des développements ci-dessus sur la finalité du MIR, d'une part, et sur le contenu de la directive, d'autre part.

74.
    En effet, en rendant obligatoire la participation au MIR, l'État espagnol souhaite manifestement instaurer une limitation quantitative, et non qualitative de l'accès au marché par le biais des conditions de qualification minimale. Comme nous l'avons montré, la directive 93/16 n'a pas pour objet la limitation quantitative de l'accès au marché en tant que telle. La régulation quantitative du marché de la médecine de spécialité en Espagne s'effectue grâce à une procédure d'accès au marché en amont (MIR), qui, en tant que telle, ne peut donc pas être contraire à l'article 8 de la directive 93/16 selon nous. Le questionnaire à choix multiple sur le niveau individuel actuel des connaissances médicales de base ne présente donc pas d'importance en lui-même, mais fait partie d'une procédure qui entre dans le cadre d'une régulation quantitative du marché. Il ne se différencie donc pas d'un examen sur le plan technique ou au niveau de son contenu, mais par le fait que les connaissances médicales de base sont contrôlées dans un autre contexte.

75.
    La Commission semble estimer que, en vertu des articles 2 et 8 de la directive 93/96, les connaissances médicales doivent être «reconnues» de façon tellement large que, indépendamment de la question de la «reconnaissance des diplômes» au sens strict, elles ne doivent plus faire l'objet d'aucune vérification par les autorités étatiques, même dans des circonstances différentes. Cette opinion est toutefois en contradiction avec le champ d'application de la directive 93/16 tel que nous l'avons exposé (reconnaissance des qualifications ou des unités de qualification avec comme objectif la suppression d'une certaine limitation qualitative de l'accès au marché).

76.
    Dans cette mesure, le contrôle des connaissances médicales de base en elles-mêmes dans le cadre du MIR ne relève pas de l'article 8 de la directive 93/16.

-    Sur les éléments discriminatoires du MIR en tant que violation de l'article 8 de la directive 93/16

77.
    Comme il ressort en particulier de son deuxième considérant, la directive 93/16 vise dans son ensemble, ce qui est donc également le cas de son article 8, à la suppression des traitements discriminatoires quant aux conditions d'accès aux activités du médecin et à leur exercice.

78.
    En premier lieu, il n'est pas à exclure que la vérification des connaissances médicales de base individuelles au vu des résultats au cours de la formation médicale de base s'effectue sur la base de critères discriminatoires et défavorise de façon illicite les médecins spécialistes migrants. En deuxième lieu, la vérification du niveau individuel actuel des connaissances médicales de base, telle qu'elle est effectuée grâce au questionnaire à choix multiple dans le cadre du MIR, et qui désavantage de façon disproportionnée les médecins migrants par rapport aux médecins généralistes ayant reçu une formation de base et aux médecins spécialistes d'Espagne, pourrait constituer une discrimination.

Sur l'évaluation des résultats obtenus au cours de la formation de base de médecin au vu d'un critère prétendument discriminatoire

79.
    Concernant les éléments discriminatoires du MIR, la Commission fait valoir que l'évaluation des résultats obtenus lors de la formation de base de médecin est fondée sur un critère fondé pour l'essentiel sur le programme de la formation de base des médecins en Espagne et favorisant de ce fait les postulants de l'État d'accueil. À cet égard, il suffit de faire observer qu'un tel procédé serait certainement incompatible avec le principe de l'égalité de traitement. La Commission a soulevé ce grief, mais n'a fait qu'évoquer les éléments discriminatoires de ce critère sans les développer. Cet argumentation n'est donc pas susceptible d'établir que l'article 8 de la directive n'a pas été transposé correctement.

Sur le questionnaire à choix multiple unique, en tant que discrimination possible des médecins spécialistes migrants

80.
    En outre, une discrimination pourrait résider dans le fait que le contrôle des connaissances médicales de base grâce au questionnaire à choix multiple défavorise les médecins spécialistes migrants de façon disproportionnée. Afin de pouvoir examiner les dispositions espagnoles en la matière, il convient de déterminer quels médecins spécialistes migrants bénéficient des règles de reconnaissance de l'article 8 de la directive 93/16 - s'il s'agit de tous les médecins pouvant prouver avoir suivi partiellement une formation de médecin spécialiste dispensée par l'État d'origine ou seulement de ceux qui sont titulaires de titres attestant d'une formation de médecin spécialiste menée à son terme.

81.
    Certes, si le libellé de l'article 8, paragraphe 2, de la directive («périodes de formation [...] sanctionnées par un [...] titre») est considéré isolément, il semble indiquer que chaque période de formation spécialisée doit être reconnue dans l'État d'accueil - même celles qui sont courtes ou superficielles, sous certaines conditions. L'article 8, paragraphe 3, lui-même, de la directive mentionne de façon peu claire une «formation spécialisée». En vertu de l'article 8, paragraphes 2 et 3, de la directive, cette «formation» ou «période de formation» doit être attestée par des «diplômes, certificats et autres titres». Seulement, les unités d'une formation spécialisée qui ne permettent pas (encore) l'exercice de la profession ne peuvent pas être attestées par des certificats ou d'autres titres. L'article 5, paragraphe 2, de la directive énumère les titres qui doivent être reconnus comme «diplômes, certificats et autres titres» en vertu de l'article 4 de la directive. Il s'agit de titres concernant des formations spécialisées menées à leur terme (22). Étant donné la position de l'article 5, paragraphe 2, dans le corps de la directive, la définition qu'il contient se rapporte aux dénominations énumérées au paragraphe 3, qui sont employées dans tous les États membres et qui doivent donc être reconnues mutuellement, purement et simplement, dans tous les États membres. Cependant, on ne voit pas pourquoi ces notions utilisées à l'égard d'une fraction très limitée de dénominations de spécialités relevant de l'article 8 devraient s'appliquer par dérogation aux certificats ou autres titres relatifs, quant à eux, aux unités faisant partie d'une formation spécialisée.

82.
    Il convient donc de considérer que seuls les titres attestant d'une formation spécialisée menée à son terme relèvent du champ d'application de l'article 8 de la directive 93/16.

83.
    Le MIR est applicable indifféremment à trois groupes de postulants: aux médecins d'Espagne et d'autres États membres ayant une formation de base, aux médecins d'Espagne qui souhaitent se former dans une autre spécialité et enfin aux médecins spécialistes migrants. Il n'est pas impossible que l'application indifférenciée du MIR à tous ces candidats constitue une discrimination illicite en vertu de l'article 8, dans la mesure où une partie essentielle du MIR consiste à déterminer le niveau actuel des connaissances médicales de base sous la forme d'un questionnaire à choix multiple unique, diversifié et détaillé.

84.
    Comme un certain temps s'est écoulé depuis la formation de base, cette partie du MIR peut constituer, pour les médecins spécialistes migrants ayant terminé leur formation spécialisée - et, dans certains cas, exerçant même depuis longtemps -, un obstacle particulier à l'obtention du poste qui leur est nécessaire pour acquérir leur formation complémentaire au sens de l'article 8, paragraphe 3, de la directive.

85.
    L'assimilation des médecins spécialistes migrants ayant terminé leur formation spécialisée à des médecins qui n'ont reçu qu'une formation de base semble fondamentalement problématique. Le seul fait susceptible de tempérer cette appréciation est que les médecins spécialistes d'Espagne qui aspirent à un autre titre de spécialiste sont eux aussi soumis au même questionnaire à choix multiple. Cependant, même avec cette interprétation, un élément discriminatoire subsiste, à savoir que ces médecins spécialistes d'Espagne ont déjà accès au marché espagnol de la médecine de spécialité alors que tel n'est pas le cas pour les médecins spécialistes migrants relevant du champ d'application de l'article 8, s'ils n'ont pas de poste leur permettant de suivre la formation complémentaire qui est nécessaire.

86.
    Sur ce point, le contenu du MIR est donc contraire à l'article 8 de la directive 93/16, étant donné qu'il sert à vérifier le niveau actuel des connaissances médicales de base d'une façon indifférenciée, même celui des médecins spécialistes d'autres États membres qui postulent en Espagne à un poste de formation leur permettant de suivre la formation complémentaire nécessaire en vertu de l'article 8, paragraphe 3, de la directive.

c)    Sur l'attribution de postes spéciaux de formation spécialisée

87.
    Enfin, la Commission soutient que les médecins spécialistes migrants qui ont obtenu un poste de formation spécialisée dans le cadre du MIR n'ont toutefois pas la garantie qu'ils obtiendront un poste dans la spécialité nécessaire à leur formation complémentaire. Curieusement, cet argument de la Commission semble être en contradiction avec l'article 12 bis, paragraphe 4, du décret royal, d'après lequel il existe manifestement des postes de formation spéciaux pour le cas particulier des médecins spécialistes migrants qui ont déjà été soumis à une procédure de sélection dans l'État d'accueil. Pourquoi le royaume d'Espagne ne le prévoirait-il pas pour les médecins spécialistes migrants qui ont pris part au MIR et qui l'ont réussi? Le gouvernement espagnol n'a pas contesté cet argument de la Commission et, lors de la présentation générale du MIR, il a expressément admis que l'attribution des postes de formation dans les spécialités s'effectue elle aussi en fonction de la place obtenue. Pour la présente procédure, il y a donc lieu de considérer l'argument de la Commission comme exact.

88.
    Si tel est le cas, il s'agit d'une situation non couverte par l'article 8 de la directive 93/16, parce qu'elle entraîne un traitement défavorable des médecins spécialistes migrants par rapport aux médecins spécialistes d'Espagne. En effet, étant donné que ces derniers ont déjà accès, en principe, au marché espagnol de la médecine de spécialité et qu'ils souhaitent uniquement acquérir une ou plusieurs spécialisations, ils ne sont pas forcément tributaires de l'obtention d'un poste de formation dans une spécialité donnée, tout du moins pour ce qui est de leur possibilité d'accéder au marché. Or, les médecins spécialistes migrants ont toujours besoin d'un poste de formation dans une spécialité donnée, étant donné qu'il leur est nécessaire de suivre une formation complémentaire pour accéder au marché pour la première fois. C'est seulement ainsi qu'il leur est possible de suivre la «formation complémentaire» au sens de l'article 8, paragraphe 3, après la prise en compte des qualifications concrètes qu'ils ont déjà acquises dans l'État d'origine. Puisque la possibilité d'acquérir une qualification dans certaines spécialités en Espagne par le biais d'une formation complémentaire constitue le noyau de la réglementation de l'article 8 de la directive 93/16, cette procédure du royaume d'Espagne n'est pas conforme au droit communautaire.

d)    Sur la prise en compte de la procédure de sélection de l'État d'origine en tant que justification possible

89.
    En tout état de cause, la prise en compte d'une procédure de sélection éventuellement suivie par un médecin spécialiste migrant avant sa formation spécialisée dans l'État d'origine ne peut valablement être invoquée de façon générale pour faire disparaître le caractère discriminatoire des dispositions espagnoles en cause, puisque chaque médecin spécialiste migrant ne remplissant pas cette condition, en raison du libre accès à la formation dans l'État d'origine, doit encore passer le MIR.

e)    Synthèse

90.
    La participation obligatoire au MIR pour les médecins spécialistes migrants est en principe conforme à l'article 8 de la directive 93/16 si elle fait partie d'une limitation générale de l'accès au marché dont le but est la régulation quantitative du marché national de la médecine de spécialité. La procédure n'a pas pour objet la conformité de ces dispositions nationales avec le droit primaire, puisque la Commission a expressément limité ses conclusions à la violation de l'article 8 de la directive 93/16.

91.
    Toutefois, le royaume d'Espagne n'a pas transposé correctement l'article 8 de la directive 93/16 dans la mesure où il impose aux médecins spécialistes ayant achevé leur formation dans d'autres États membres de participer indifféremment à la même procédure d'attribution des postes que les médecins généralistes sans formation spécialisée et les médecins spécialistes qui ont déjà accès au marché espagnol de la médecine de spécialité.

92.
    En outre, il n'a pas transposé correctement l'article 8 de la directive en ne garantissant pas aux médecins spécialistes migrants ayant obtenu un poste de formation après leur réussite au MIR qu'ils obtiendraient un poste de formation dans la spécialité dont ils ont besoin pour leur formation complémentaire au sens de l'article 8, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/16.

B -    Deuxième moyen: défaut de transposition de l'article 18 de la directive 93/16

1.    Argumentation des parties

93.
    Par le deuxième moyen, la Commission fait grief au royaume d'Espagne de n'avoir pas transposé l'article 18 de la directive 93/16 en droit national. En réponse à la justification avancée par le gouvernement espagnol, qui soutient que ce n'est pas nécessaire au motif que les dispositions nationales sont déjà conformes à l'article 18 de la directive 93/16, la Commission présente les arguments ci-après.

94.
    D'après les dispositions du Real Decreto 63/1995 citées par le gouvernement espagnol, le remboursement des prestations fournies par les médecins établis dans d'autres États membres aux assurés du système national de santé est en principe exclu et n'est autorisé qu'en cas d'urgence. Cela ne constitue pas une transposition de l'article 18 de la directive 93/16, puisque la dérogation en matière d'affiliation à un organisme du système de sécurité sociale en Espagne est liée à une condition. Or, l'article 18 régit l'obligation des États membres de telle façon que cette dérogation doit s'appliquer sans limitation.

95.
    La réserve figurant dans la disposition nationale au sujet des «conventions internationales» contraires ne la rend pas conforme à l'article 8, car la question se pose de savoir si le traité CE fait partie des «conventions internationales». Toutefois, même si tel était le cas, la question se poserait de savoir comment les prestations des médecins établis dans d'autres États membres doivent être remboursées par le système national de santé.

96.
    Le gouvernement espagnol estime qu'il n'est pas nécessaire de transposer ou de transposer séparément l'article 18 de la directive 93/16, puisque le droit national en vigueur, figurant dans le Real Decreto 63/1995, correspond tout à fait aux prescriptions de l'article 18. En particulier, il fait valoir que les dispositions des directives ne doivent être transposées que lorsque leur contenu est pertinent pour le système national, ce qui en l'espèce n'est pas le cas pour le royaume d'Espagne, pour les raisons ci-après.

97.
    En principe, les prestations des médecins au bénéfice des assurés en Espagne ne sont remboursées par le système de santé espagnol que lorsqu'elles sont fournies dans le cadre de ce système. En dehors du système, il n'y a remboursement, à titre exceptionnel, que lorsqu'il peut être prouvé qu'il s'agissait d'un cas d'urgence. Dans ce cas, aucune distinction n'est faite selon que le médecin traitant est établi en Espagne ou dans un autre État membre.

2.    Appréciation

98.
    La Commission et le gouvernement espagnol semblent interpréter de façon différente la nature des obligations dérivant de l'article 18 de la directive 93/16. Sur le plan juridique, la question de la violation de l'article 18 tourne en substance autour de la question de savoir quelle «affiliation» ne peut pas constituer une condition du remboursement des frais médicaux concernant le remboursement des prestations transfrontalières en vertu de l'article 18. S'agit-il de l'«affiliation» des médecins au système de la sécurité sociale en général ou seulement de l'affiliation, qu'il faut distinguer, à un «organisme de droit public»?

99.
    La formulation de l'article 18 contient une distinction entre l'«organisme assureur» et l'«organisme de droit public». Il convient tout d'abord d'en déduire que l'organisme de droit public - l'affiliation à ce dernier ne devant pas être posée comme condition - doit être envisagé comme étant une institution différente de l'«organisme assureur». À l'inverse, cela signifie que les États membres peuvent parfaitement poser comme condition du remboursement l'affiliation à un «organisme assureur» - en Espagne, il s'agirait du système national de santé.

100.
    Le douzième considérant, qui énonce la finalité de l'article 18, milite en faveur de cette dernière interprétation: l'exigence d'une affiliation à des «organisations ou organismes professionnels» ne doit pas devenir la condition du remboursement des prestations des médecins établis dans d'autres États membres, parce qu'il s'agirait d'une gêne disproportionnée pour des prestations isolées, qui ne seraient qu'à peine couvertes par la finalité d'une telle affiliation. Ledit considérant fait clairement référence à l'affiliation à des «organisations ou organismes professionnels» et non à l'affiliation au système de la sécurité sociale ou à «l'organisme assureur».

101.
    Enfin, le vingt-deuxième considérant énonce clairement que la directive 93/16 «n'affecte pas la compétence des États membres d'organiser leur régime national de sécurité sociale». Puisque la question des conditions du remboursement des prestations des médecins est l'une des questions centrales des systèmes de sécurité sociale dans tous les États membres, il est difficile de supposer que le législateur communautaire a «dissimulé» cette question dans une directive reconnaissance des diplômes. Pendant l'ensemble du déroulement de deux procédures devant la Cour (23), pour lesquelles celle-ci a examiné à la lumière du droit communautaire la question de savoir si, et dans quelle mesure, les «frais d'hôpital survenus dans d'autres États membres» doivent être remboursés par les systèmes nationaux d'assurance auxquels les établissements hospitaliers ou les médecins traitants n'appartenaient pas, la directive 93/16 n'a pas été mentionnée une seule fois.

102.
    Il y a donc lieu d'en conclure que l'article 18 de la directive ne s'oppose pas à une réglementation selon laquelle l'affiliation du médecin à un système national de santé constitue la condition du remboursement de la prestation médicale. Par conséquent, il est inutile d'examiner plus en détail le grief de la Commission selon lequel la réserve au profit des «conventions internationales» manque de clarté et est de ce fait problématique au vu du droit communautaire.

103.
    Puisque, en l'espèce, la Commission n'a pas fait valoir que, en vertu des dispositions espagnoles l'affiliation à une organisation ou à un organisme professionnel constitue la condition du remboursement des prestations des médecins par le système national de santé espagnol, elle n'a pas non plus apporté la preuve d'une violation de l'article 18 de la directive 93/16.

104.
    En vertu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission n'a pas apporté la preuve que le royaume d'Espagne n'a pas transposé l'article 18 de la directive 93/16.

V -    Dépens

105.
    En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Toutefois, l'article 69, paragraphe 3, premier alinéa, dispose que la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

106.
    Puisque la Commission et le royaume d'Espagne ont succombé sur une partie de leurs prétentions, il convient qu'ils supportent leurs propres dépens.

VI - Conclusion

107.
    En vertu de ce qui précède, nous proposons à la Cour de constater ce qui suit:

«1)    -    En imposant indifféremment la participation à la même procédure d'attribution des postes aux médecins ayant terminé leur formation spécialisée dans d'autres États membres et qui ont besoin d'un poste de formation spécialisée aux fins de la formation complémentaire, ainsi qu'aux médecins ayant une formation de base et aux médecins spécialistes qui ont déjà accès au marché espagnol de la médecine de spécialité,

    -    en ne garantissant pas, aux médecins ayant terminé leur formation spécialisée dans d'autres États membres, qui ont besoin d'un poste de formation spécialisée aux fins de la formation complémentaire et qui en ont obtenu un dans le cadre d'une procédure d'attribution des postes, l'obtention d'un poste dans la spécialité qui leur est nécessaire pour la formation complémentaire,

le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 8 de la directive 93/16/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres.

2)    Pour le reste, le recours est rejeté.

3)    La Commission et le royaume d'Espagne supportent leurs propres dépens.»


1: -     Langue originale: l'allemand.


2: -     JO L 165, p. 1.


3: -     Voir article 8, paragraphe 3, de la directive 93/16.


4: -     Cette disposition a été insérée par le Real Decreto 2072/1995.


5: -     JO L 167, p. 1.


6: -     Voir arrêt du 7 mai 1991 (C-340/89, Rec. p. I-2357).


7: -     Voir, notamment, l'arrêt du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459).


8: -     À cet égard, la Commission se réfère à un cas dont elle a eu connaissance, dans lequel il a été exigé qu'un médecin spécialiste d'un autre État membre ayant exercé pendant plus de dix ans passe le MIR pour pouvoir suivre la formation complémentaire en Espagne.


9: -     Voir arrêt du 15 octobre 1986, Commission/Italie (168/85, Rec. p. 2945).


10: -     Arrêt du 6 décembre 1994, Commission/Espagne (C-277/93, Rec. p. I-5515).


11: -     Selon les indications du royaume d'Espagne, le dernier recensement trimestriel a révélé une densité de 4 médecins pour 1 000 habitants. D'après les estimations espagnoles actuelles, 18 056 médecins supplémentaires ayant terminé leur formation de base avaient postulé à un poste de formation à la profession de médecin spécialiste pour 2 908 places disponibles.


12: -     Le gouvernement espagnol fait référence à un État membre qui délivre, à la suite d'une période de formation de médecin spécialiste de deux semaines ou d'un total de 100 heures, un titre donnant accès à une période de formation complémentaire de médecin spécialiste qui dure au moins trois ans en Espagne. En 1999 et en 2000, 80 % de l'ensemble des postulants qui avaient demandé une place en formation de médecin spécialiste en invoquant des périodes de formation de médecin spécialiste suivies dans un autre État membre étaient des médecins ayant une formation de base délivrée en Espagne.


13: -     Ces motifs doivent toutefois être relatifs à «l'intérêt général». L'arrêt de principe est l'arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299); pour la jurisprudence récente, voir notamment l'arrêt de la Cour du 9 mars 2000, Commission/Belgique (C-355/98, Rec. p. I-1221).


14: -    Voir, dans le seul domaine des conditions de qualification : les arrêts du 7 novembre 2000, Luxembourg/Parlement et Conseil (C-168/98, Rec. p. I-9131); du 14 septembre 2000, Hocsman (C-238/98, Rec. p. I-6623), et Erpelding (C-16/99, Rec. p. I-6821); du 8 juillet 1999, Fernández de Bobadilla (C-234/97, Rec. p. I-4773); du 1er février 1996, Aranitis (C-164/94, Rec. p. I-135); du 9 février 1994, Haim (C-319/92, Rec. p. I-425); du 7 mai 1992, Aguirre Borrell e.a. (C-104/91, Rec. p. I-3003); du 25 juillet 1991, Commission/Italie (C-58/90, Rec. p. I-4193); Vlassopoulou, précité note 6; du 15 octobre 1987, Heylens e.a. (222/86, Rec. p. 4097), et du 6 octobre 1981, Broekmeulen (246/80, Rec. p. 2311).


15: -     Directive 93/16 citée à la note 3 (médecins) ainsi que les directives suivantes (CE/CEE): 64/422, concernant les activités du commerce de gros et les activités d'intermédiaires du commerce, de l'industrie et de l'artisanat (JO 56), 68/364 sur le commerce de détail (JO L 260), 68/368 sur les services personnels (restaurants et débits de boissons, hôtels meublés et établissements analogues, terrains de camping) [JO L 260], 68/366, sur les industries alimentaires (JO L 260), 70/523 sur le commerce de gros du charbon (JO L 267), 75/368 sur diverses activités (JO L 167), 75/369 sur les activités exercées d'une façon ambulante (JO L 167), 77/92 sur les agents et les courtiers d'assurance (JO L 26), 82/470 sur les auxiliaires des transports (JO L 213), 82/489 sur les coiffeurs (JO L 218), 78/686 et 78/687 (toutes deux parues au JO L 233, p. 10 et 21) et 89/594 sur les dentistes (JO L 341, p. 19), 78/1026 et 78/1027 sur les vétérinaires (toutes deux parues au JO L 362) et 81/1057 (JO L 385, p. 25) et 89/594 (JO L 341, p. 19), 80/154 et 80/155 sur les sages-femmes (toutes deux parues au JO L 33, p. 1 et 8), 85/384 sur les architectes (JO L 223, p. 15), 77/249 sur les avocats (JO L 78, p. 17), 89/48, instaurant la première reconnaissance générale des diplômes (JO L 19, p. 16), 92/51, sur la deuxième reconnaissance générale des diplômes (JO L 209, p. 25), 1999/42, sur la troisième reconnaissance générale des diplômes (JO L 201, p. 77), 85/433 sur les pharmaciens (JO L 253, p. 37).


16: -     Voir également les arrêts récents Hocsman et Erpelding, cités à la note 14.


17: -     Par exemple, la limitation liée à la moralité, à l'honorabilité ou à l'état de santé qui relèvent des articles 11 et suiv. de la directive 93/16.


18: -     Toutefois, il en va autrement, par exemple, de l'article 2, paragraphe 2, de la directive sur les pharmaciens citée à la note 15. Cette directive comporte une déclaration sur la «reconnaissance» de ces titres au regard des réglementations de l'accès au marché (protection territoriale des pharmaciens).


19: -     Voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 7 avril 1992, Commission/Grèce (C-61/90, Rec. p. I-2407, point 9).


20: -     C-202/99, conclusions non encore publiées au Recueil.


21: -     Voir, notamment, les arrêts du 27 janvier 2000, Graf (C-190/98, Rec. p. I-493); du 23 novembre 1999, Arblade e.a . (C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453); du 9 juillet 1997, Parodi (C-222/95, Rec. p. I-3899); du 28 mars 1996, Guiot (C-272/94, Rec. p. I-1905), et du 31 mars 1993, Kraus (C-19/92, Rec. p. I-1663).


22: -     Il en va de même, du reste, d'autres directives reconnaissance des diplômes qui ne régissent que la reconnaissance de formations initiales ou complémentaires suivies dans leur intégralité; voir, par exemple, la définition des «diplômes, certificats et autres titres» à l'article 1er, sous a), de la directive 89/48 (citée à la note 15).


23: -     Sur cette question, la Cour a récemment rendu les arrêts suivants: arrêts du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms (C-157/99, Rec. p. I-5473), et Vanbraekel e.a. (C-368/98, Rec. p. I-5363).