Langue du document : ECLI:EU:C:2000:92

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 17 février 2000 (1)

Affaire C-124/99

Carl Borawitz

contre

Landesversicherungsanstalt Westfalen

[demande de décision préjudicielle formée par le Sozialgericht Münster (Allemagne)]

«Sécurité sociale des travailleurs migrants - Égalité de traitement - Transfert vers un autre État membre d'un complément de pension - Montant minimal plus élevé que pour le virement à l'intérieur du même État membre»

    M. Borawitz, dont la résidence se trouve aux Pays-Bas, est titulaire d'une pension mensuelle d'invalidité versée par un organisme allemand.

    Alors qu'il devait bénéficier d'un complément de pension, M. Borawitz n'a pas perçu cette prestation en raison du fait que son montant ne dépassait pas une valeur correspondant à 3/10 du montant de la pension, condition prescrite par la loi allemande.

    Selon la même loi, la valeur minimale au-dessous de laquelle les paiements complémentaires, lorsqu'ils doivent avoir lieu sur le territoire allemand, ne peuvent pas être effectués est fixée à 1/10 de la valeur actuelle de la pension.

    Le recours engagé par M. Borawitz à l'encontre de la décision le privant du bénéfice de ce paiement complémentaire a conduit le Sozialgericht Münster (Allemagne) à vous interroger sur la portée du principe communautaire de l'égalité de traitement à l'égard d'une législation nationale, telle que celle en l'espèce, qui institue une différence de régime juridique selon que le paiement de la pension a lieu sur le territoire national ou sur le territoire d'un autre État membre. Il se trouve, en effet, que le montant minimal exigé par la loi nationale dans le premier cas est inférieur à celui prescrit dans la seconde hypothèse.

I - Le cadre juridique

La réglementation communautaire

    Le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (2), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 1945/93 du Conseil, du 30 juin 1993 (3) (ci-après le «règlement»), est destiné à coordonner les législations nationales de sécurité sociale afin de permettre la libre circulation des travailleurs ressortissants des États membres (4).

    Le règlement vise à garantir à l'intérieur de la Communauté, d'une part, à tous les ressortissants des États membres l'égalité de traitement au regard des différentes législations nationales et, d'autre part, aux travailleurs et à leurs ayants droit le bénéfice des prestations de sécurité sociale, quel que soit le lieu de leur emploi ou de leur résidence. Ces objectifs doivent être atteints par le service deprestations aux différentes catégories de personnes couvertes par le règlement, quel que soit le lieu de leur résidence à l'intérieur de la Communauté (5).

    Enfin, les règles de coordination prises pour l'application de l'article 51 du traité CE (devenu, après modification, article 42 CE) doivent assurer aux travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté les droits et avantages acquis (6).

    L'article 3, paragraphe 1, du règlement énonce le principe de non-discrimination tel qu'il est applicable au domaine couvert par ce règlement. Il dispose que «Les personnes qui résident sur le territoire de l'un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement».

    S'agissant du montant des prestations versées par un État membre à un bénéficiaire installé sur le territoire d'un autre État membre, l'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement prévoit que, «À moins que le présent règlement n'en dispose autrement, les prestations en espèces d'invalidité, de vieillesse ou de survivants, les rentes d'accident du travail ou de maladie professionnelle et les allocations de décès acquises au titre de la législation d'un ou de plusieurs États membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d'un État membre autre que celui où se trouve l'institution débitrice».

    L'article 58 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71 (7), porte sur la récupération des frais afférents au paiement des prestations. Il précise que «Les frais afférents au paiement des prestations, notamment les frais postaux et bancaires, peuvent être récupérés par l'organisme payeur auprès des bénéficiaires, dans les conditions prévues par la législation que cet organisme applique».

La réglementation allemande

    Il ressort de l'article 118, paragraphe 2a, du Sechstes Buch des Sozialgesetzbuches - SGB VI - (livre VI du code social, ci-après le «SGB VI») que, pour qu'un complément de pension soit versé, son montant doit, à la date considérée, dépasser 1/10 du montant actuel de la pension dans le cas deversements à effectuer en Allemagne ou 3/10 de cette valeur dans le cas de versements à effectuer dans un autre État membre.

    Selon l'ordonnance de renvoi, cet article a été introduit, avec effet à compter du 1er juillet 1993, pour éviter que les frais administratifs et de comptabilité ne dépassent le montant des paiements complémentaires.

II - Les faits et la procédure au principal

    La pension mensuelle d'invalidité perçue par M. Borawitz (autrement désigné le «requérant au principal») à compter du 1er août 1993 s'élevait à 660,63 DEM. Par courrier du 20 juin 1995, la Landesversicherungsanstalt Westfalen (ci-après la «défenderesse au principal») lui a fait savoir que ce montant serait porté à 663,94 DEM, en application du Rentenanpassungsgesetz (loi allemande sur la revalorisation des pensions).

    Le même jour, la défenderesse au principal a informé M. Borawitz qu'il existait, pour la période du 1er juillet au 31 août 1995, un droit à un complément de 6,62 DEM. Elle a cependant ajouté que, en application de l'article 118, paragraphe 2a, du SGB VI, cette somme ne pourrait pas être versée parce qu'elle ne dépassait pas 3/10 de la valeur de la pension d'invalidité.

    M. Borawitz a introduit un recours administratif auprès de la défenderesse au principal par lequel il faisait valoir que la distinction opérée par la législation allemande entre les versements effectués en Allemagne et ceux effectués dans les autres États membres violait le principe de l'égalité de traitement visé à l'article 3 du règlement. Le requérant au principal a ajouté que la procédure de «clearing» utilisée entre l'Allemagne et les Pays-Bas garantit que les frais de versements à l'étranger ne dépassent pas en pratique les frais résultant de versements réalisés en Allemagne (8).

    Par décision du 16 avril 1996, la commission de recours de la défenderesse au principal a rejeté le recours au motif que l'article 118, paragraphe 2a, du SGB VI n'entre pas dans le champ d'application de l'article 10, paragraphe 1, du règlement.

    Le 3 mai 1996, M. Borawitz a saisi le Sozialgericht Münster, la République fédérale d'Allemagne ayant été, en outre, appelée à intervenir à la procédure.

III - La question préjudicielle

    Le Sozialgericht Münster a décidé de surseoir à statuer et de saisir votre Cour de la question préjudicielle suivante:

«L'article 118, paragraphe 2a, du SGB VI est-il compatible avec le droit communautaire, et en particulier avec le principe de l'égalité de traitement, dans la mesure où il restreint davantage à l'étranger qu'en Allemagne le versement de montants complémentaires dus au titre d'une pension?»

IV - Sur la question préjudicielle

    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsqu'elle est saisie en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), votre Cour n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une mesure nationale avec le droit communautaire. Elle est toutefois compétente pour donner à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité en vue du jugement de l'affaire dont elle est saisie (9).

    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par la question posée, le juge national demande si le principe de l'égalité de traitement, tel qu'il est formulé à l'article 3, paragraphe 1, du règlement s'oppose à une législation nationale qui fixe la valeur minimale d'une prestation en espèces à laquelle est subordonné son paiement à destination d'un bénéficiaire résidant dans un autre État membre à un niveau supérieur à la valeur exigée lorsque ce paiement a lieu à l'intérieur du même État membre.

    Pour répondre à cette question dans le contexte de l'affaire au principal, il est nécessaire de vérifier au préalable que M. Borawitz entre bien dans le champ d'application du règlement, tant du point de vue personnel que matériel, ainsi que le prévoit l'article 3, paragraphe 1, dudit règlement.

    Selon l'article 2, paragraphe 1, du règlement, celui-ci s'applique «... aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs États membres et qui sont des ressortissants de l'un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant sur le territoire d'un des États membres...».

    Comme la Commission l'a justement relevé, aucun élément ne nous a été transmis qui permette de déterminer si M. Borawitz remplit la condition liée à laqualité de ressortissant communautaire - ou de l'une de celle qui peut en tenir lieu - prescrite par ce texte (10).

Si la condition de résidence sur le territoire de la Communauté et celle tenant à l'application de la législation de l'un des États membres sont à l'évidence remplies, puisque le requérant au principal réside aux Pays-Bas et perçoit une pension d'invalidité dont nul ne conteste qu'elle est soumise à la législation allemande, il n'en va pas de même de sa nationalité.

Le Sozialgericht Münster s'étant implicitement placé dans cette hypothèse, nous considérerons que cette exigence est satisfaite, afin de répondre utilement à la question posée. Il appartiendra cependant au juge de renvoi, avant d'appliquer les dispositions pertinentes du règlement, de s'assurer que tel est bien le cas.

    S'agissant de l'objet du litige au principal, qui conditionne l'application matérielle du règlement, il suffit de constater que le versement litigieux porte sur un complément de pension d'invalidité. Le règlement est dès lors applicable de ce chef, conformément à son article 4, paragraphe 1, sous b) (11).

    Sous la réserve qui précède, une situation telle que celle décrite par le juge de renvoi relève donc du règlement.

    L'objet de l'article 3, paragraphe 1, du règlement est d'assurer, conformément à l'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE), au profit des personnes auxquelles s'applique le règlement, l'égalité en matière de sécurité sociale sans distinction de nationalité, en supprimant toute discrimination à cet égard résultant des législations nationales des États membres (12).

    Or, une législation nationale, telle que celle de l'espèce, n'opère pas de distinction selon que son bénéficiaire est ou non allemand. Elle subordonne le paiement d'un complément de pension au respect d'une valeur minimale supérieure, lorsqu'il a lieu d'un État membre à un autre État membre, à celle prescrite pour le paiement de ce complément à l'intérieur du même État membre. Un non-Allemand résidant sur le territoire allemand est soumis à la condition du respect de la valeur minimale de 1/10, qui lui accorde plus de chance de percevoir le complément litigieux qu'un Allemand expatrié. Il en va de même d'un Allemand résidant sur son territoire national par rapport à un non-Allemand qui a quitté le territoire allemand. De la même manière, un Allemand résidant hors d'Allemagneest soumis à la condition, moins favorable, des 3/10, au même titre qu'un non-Allemand placé dans la même condition de résidence, bénéficiaire d'une pension versée par un organisme allemand. Dans la mesure où elle ne pose pas de condition de nationalité, une telle législation ne crée donc pas de discrimination directe fondée sur ce critère.

    Rappelons cependant que l'article 3, paragraphe 1, du règlement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité des bénéficiaires de sécurité sociale, mais encore toutes formes dissimulées de discriminations qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (13).

    Le critère de différenciation est manifestement constitué par le lieu où le paiement est reçu par le bénéficiaire de la pension, à savoir son lieu de résidence. Comme le démontre la Commission, une discrimination indirecte fondée sur la nationalité existe lorsque, bien qu'applicable sans condition de nationalité, la réglementation nationale défavorise exclusivement ou principalement les étrangers.

    Pour en établir l'existence, il convient de déterminer si les travailleurs résidant à l'extérieur du territoire allemand et qui perçoivent le complément de pension d'invalidité en cause sont exclusivement ou en majorité des ressortissants d'autres États membres de la Communauté que de la République fédérale d'Allemagne. Dans ce cas, la preuve serait faite d'une discrimination entre Allemands et non-Allemands au détriment de ces derniers.

    Les éléments de l'affaire au principal rapportés devant votre Cour ne permettent pas d'émettre une opinion définitive dans un sens ou dans l'autre. Tout au plus peut-on relever, à titre indicatif et sous réserve d'autres éléments dont disposerait le juge de renvoi, que, selon la Commission, les personnes résidant hors d'Allemagne concernées par la législation allemande sont majoritairement des Allemands (14). Il est clair que l'article 3, paragraphe 1, du règlement ne s'opposerait pas à une réglementation répondant à ces caractéristiques, pour des motifs tenant à l'application d'un critère de nationalité, puisque, en pareille hypothèse, la législation nationale défavoriserait ses propres ressortissants.

    Toutefois, une autre approche s'impose, qui doit être définie davantage en fonction des particularités du droit communautaire en matière de sécurité sociale qu'en fonction du principe de l'égalité de traitement pris dans son acception la plus générale.

    Parmi les spécificités notables de cette partie du droit communautaire, on peut relever le souci exprimé dans les dispositions applicables du droit originaire, à savoir l'article 51 du traité sur lequel est fondé le règlement, de contribuer à la libre circulation des travailleurs en garantissant certains droits précis aux travailleurs migrants (15).

    Votre Cour en a logiquement déduit que les dispositions de l'article 3, paragraphe 1, du règlement «... doivent être interprétées à la lumière de leur objectif, qui est de contribuer, notamment en matière de sécurité sociale, à l'établissement d'une liberté aussi complète que possible de la circulation des travailleurs migrants, principe qui s'inscrit parmi les fondements de la Communauté...» (16).

    Conformément à ce principe, étranger à toute notion de nationalité, «... les articles 48 à 51 du traité, ainsi que les actes communautaires pris pour leur mise en oeuvre, et notamment le règlement n° 1408/71, précité, ont pour objet d'éviter qu'un travailleur qui, en faisant usage de son droit de libre circulation, a occupé des emplois dans plus d'un État membre soit traité de façon plus défavorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre...» (17).

    Votre Cour a rappelé qu'elle avait admis «... que le but des articles 48 à 51 du traité ne serait pas atteint si, par suite de l'exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs migrants devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d'un État membre. En effet, une telle conséquence pourrait dissuader le travailleur communautaire d'exercer son droit à la libre circulation et constituerait, dès lors, une entrave à cette liberté...» (18).

    Contrairement à ce que soutient la Commission (19), bien qu'elle s'applique indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés, une disposition du type de celle en cause devant la juridiction nationale est susceptible de défavoriser, en matière de sécurité sociale, les travailleurs migrants par rapport aux travailleurs qui n'ont exercé une activité que dans un État membre.

    Qu'ils soient de nationalité allemande ou ressortissants d'un autre État membre de la Communauté, les travailleurs et les autres bénéficiaires du régime de sécurité sociale en cause ne peuvent prétendre percevoir le même montant du complément de la pension d'invalidité due au titre de ce régime lorsque le montant de ce complément tel qu'il était initialement fixé ne dépasse pas 3/10 de la pension. Dans ce cas, on l'a vu, seuls les bénéficiaires résidant sur le territoire allemand sont en droit de percevoir le complément litigieux, la seule condition étant alors que son montant excède 1/10 de la pension.

    Dans ces conditions, alors pourtant qu'ils bénéficient du même droit à percevoir un complément de pension d'un certain montant, les ressortissants communautaires qui ont exercé leur activité professionnelle en Allemagne et ceux qui ont exercé leur droit de circuler librement sur le territoire de la Communauté, en fixant leur résidence sur le territoire d'un autre État membre, se trouvent dans des situations inégales.

    Selon la Commission, si les conditions d'une discrimination indirecte étaient remplies, celle-ci pourrait néanmoins être justifiée par des différences objectives. La distinction entre paiement sur le territoire national et paiement à l'étranger serait fondée sur l'existence de frais plus élevés accompagnant les versements effectués en dehors du territoire national. Elle tiendrait compte du coût des virements et viserait à éviter que les frais de paiement ne dépassent le montant du paiement complémentaire.

    Les explications données par la Commission, fondées sur l'idée qu'il convient d'éviter les situations antiéconomiques, mériteraient d'être accueillies, si elles ne se heurtaient, en l'espèce, à une circonstance particulière.

    En effet, il a été admis, dans la procédure au principal, que les opérations de paiement avec les Pays-Bas font l'objet d'une procédure de «clearing». Grâce à ce procédé, le paiement de la pension est effectué par l'office de liaison du pays de résidence du bénéficiaire au moyen d'un versement national. De l'aveu mêmede la Commission, la procédure de «clearing» ne génère aucuns frais supplémentaires puisque aucun paiement à l'étranger n'a lieu en réalité (20).

    En d'autres termes, le paiement du complément de pension litigieux n'entraînerait, en l'espèce, aucuns frais supplémentaires par rapport à un paiement équivalent effectué sur le territoire de l'organisme débiteur. Si tel est le cas, on peut en déduire que les frais ne risquent pas de dépasser le montant du complément.

    Il paraît hasardeux, dans ces conditions, de justifier la différence de traitement par l'existence ou la probabilité de frais additionnels. On ne saurait invoquer la nécessité d'éviter des situations antiéconomiques pour légitimer des discriminations portant atteinte à la liberté de circulation des travailleurs migrants dans des cas où, précisément, ces situations n'existent pas.

    Rappelons que le règlement est notamment fondé sur l'article 51, sous b), du traité, qui assigne au Conseil la mission d'assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des États membres. Les exceptions au principe de l'article 51, comme au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs, énoncé à l'article 48 du traité, dont il est une application dans le domaine de la sécurité sociale, ne doivent être admises que de manière limitée.

    L'article 10, paragraphe 1, du règlement qui impose la levée des clauses de résidence confirme cette approche. Il s'oppose à ce que tant la naissance que le maintien du droit aux prestations visées par cette disposition soient refusés pour la seule raison que l'intéressé ne réside pas sur le territoire de l'État membre où se trouve l'institution débitrice (21).

    Nul ne conteste que le complément de pension litigieux entre dans la catégorie des prestations en espèces d'invalidité visée par l'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement ni que son bénéficiaire en est privé lorsque son montant ne dépasse pas 3/10 de la pension d'invalidité, du fait qu'il réside sur le territoire d'un autre État membre.

    En revanche, la Commission estime que l'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n'est pas applicable en l'espèce, car le requérant au principal ne subit aucune réduction ni suppression de la prestation du fait du non-paiement du montant complémentaire. Selon elle, la défenderesse au principal a constaté l'augmentation de la pension, mais a simplement compensé les frais de transfert par le montant du complément. Or, l'article 10 du règlement ne serait pas destinéà régler la question de l'imputation des frais, mais uniquement celle de la réduction ou de la suppression de la prestation.

    La Commission ajoute que le législateur national n'a pas entendu faire de distinction parmi les bénéficiaires d'une pension résidant à l'étranger, selon que le montant des frais effectivement exposés pour son versement est supérieur ou non au montant de la pension. Cette conception forfaitaire serait fondée non seulement sur le niveau supérieur des frais généraux et des frais bancaires exigés par ce type de versement, mais aussi par la solidarité inhérente aux régimes de sécurité sociale.

    Enfin, la Commission invoque également les dispositions de l'article 58 du règlement d'application, qui permet aux États membres d'autoriser les organismes payeurs à récupérer les frais afférents au paiement des prestations, notamment les frais postaux et bancaires, auprès des bénéficiaires.

    Nous ne partageons pas cette opinion, car nous considérons que l'on ne peut pas ignorer la circonstance que, d'après les éléments du dossier, les opérations de versement du complément de pension n'engendrent aucuns frais supplémentaires.

    D'une part, un ressortissant communautaire qui se voit privé d'une partie de sa pension, au motif que celle-ci est inférieure ou égale aux frais nécessaires à son transfert, est évidemment en droit de se prévaloir de l'article 3, paragraphe 1, du règlement dès lors que la réalité de ces frais n'est pas établie. Sa situation n'est, dans ce cas, pas différente de celle des bénéficiaires des mêmes prestations qui sont soumis à la législation de l'État membre où ils résident. Suivant une logique strictement identique, la récupération des frais afférents au paiement des prestations, prévue à l'article 58 du règlement d'application, ne peut pas être invoquée lorsque aucuns frais de cette nature ne sont exposés.

    D'autre part, en pareil cas, l'article 10, paragraphe 1, du règlement doit aussi recevoir application. L'absence de versement du complément de pension équivaut, en effet, à une réduction ou à une modification de la pension, puisque, bien que le complément en constitue une partie intégrante, le bénéficiaire n'en perçoit pas l'intégralité.

    L'argument tiré de la solidarité imposée par les systèmes nationaux de sécurité sociale ne nous convainc pas davantage.

    Il est difficile, en effet, de dire en quoi le refus de paiement d'un complément de pension dont les frais engagés à cet effet ne sont pas supérieurs à ceux normalement engagés pour ce type d'opération concourt à la protection d'autres bénéficiaires des prestations de sécurité sociale.

    Il apparaît ainsi que, en l'espèce, les différences affectant les valeurs minimales ne sont justifiées par aucune considération objective, sous réserve de la vérification par la juridiction de renvoi de l'existence d'une procédure de «clearing» ainsi que de l'incidence de celle-ci sur le niveau des frais.

Conclusion

    Au regard de ces considérations, nous vous proposons de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Sozialgericht Münster:

«Le principe de l'égalité de traitement, tel qu'il est formulé à l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 1945/93 du Conseil, du 30 juin 1993, s'oppose à l'application d'une législation nationale dans un État membre qui fixe la valeur minimale d'une prestation en espèces d'invalidité à laquelle est subordonné son paiement à destination d'un bénéficiaire résidant dans un autre État membre à un niveau supérieur à la valeur qui est exigée lorsque ce paiement a lieu à l'intérieur du premier État membre, dans une situation où le paiement à destination d'un autre État membre, qui ne peut pas être effectué pour la raison que la prestation n'atteint pas la valeur minimale la plus élevée, n'entraîne pas de frais d'un montant supérieur à ceux exposés pour le paiement de la même prestation à l'intérieur du premier État membre.»


1: Langue originale: le français.


2: -     JO L 149, p. 2.


3: -     JO L 181, p. 1.


4: -     Cinquième considérant.


5: -     Sixième considérant.


6: -     Septième considérant.


7: -     JO L 74, p. 1, ci-après le «règlement d'application».


8: -     Selon la Commission, par cette procédure, les informations relatives au paiement de la pension sont transmises à un office de liaison du pays de résidence du bénéficiaire, qui se charge alors de payer la pension par versement national. Aucuns frais supplémentaires ne seraient exposés puisque, en définitive, aucun paiement à l'étranger n'aurait lieu.


9: -     Voir, par exemple, arrêt du 30 avril 1998, Sodiprem e.a. (C-37/96 et C-38/96, Rec. p. I-2039, point 22).


10: -     Arrêt du 30 avril 1996, Cabanis-Issarte (C-308/93, Rec. p. I-2097, point 21).


11: -     Aux termes de cet article, le règlement «... s'applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent ... les prestations d'invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain...».


12: -     Arrêt du 25 juin 1997, Mora Romero (C-131/96, Rec. p. I-3659, point 29).


13: -     Arrêts du 12 juillet 1979, Toia (237/78, Rec. p. 2645, point 12), et Mora Romero, précité, point 32.


14: -     Point 21 des observations écrites de la Commission, qui tient cette information du ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales, partie intervenante à l'instance au principal. Le doute que nous éprouvons sur la réalité de cette situation, nourri par le fait que la République fédérale d'Allemagne est un pays qui accueille de nombreux travailleurs étrangers, même s'ils ne sont pas tous ressortissants communautaires, nous incite à ne pas écarter absolument l'hypothèse d'une discrimination indirecte en raison de la nationalité et à inviter la juridiction de renvoi à s'assurer de ce point, en vue de la qualification juridique à retenir.


15: -     Il s'agit des mesures leur permettant, ainsi qu'à leurs ayants droit, d'assurer «la totalisation, pour l'ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales...» et «le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des États membres».


16: -     Arrêt du 7 mars 1991, Masgio (C-10/90, Rec. p. I-1119, point 16).


17: -     Ibidem, point 17.


18: -     Ibidem, point 18.


19: -     Selon la Commission, une réglementation telle que celle en cause n'est pas de nature à porter atteinte au principe de l'égalité de traitement, dès lors qu'elle s'applique indistinctement aux ressortissants d'autres États membres et aux ressortissants nationaux, évitant ainsi tout risque de discrimination indirecte.


20: -     Point 25 des observations écrites de la Commission.


21: -     Arrêt du 20 juin 1991, Newton (C-356/89, Rec. p. I-3017, point 23).