Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


DEUXIÈME SECTION

DÉCISION[Note1]

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 20491/92 présentée par Rajko MEDENICA contre la Suisse
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 16 décembre 1999 en une chambre composée de

M.C.L. Rozakis, président, M.M. Fischbach,

M.L. Wildhaber, M.B. Conforti, M.G. Bonello, MmeV. Stráznická, MmeM. Tsatsa- Nikolovska, juges,

et deM.E. Fribergh, greffier de section ;

Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 3 août 1992 par Rajko Medenica contre la Suisse et enregistrée le 13 août 1992 sous le n° de dossier 20491/92 ;
Vu les rapports prévus à l'article 49 du règlement de la Cour ;
Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 22 mars 1996 et les observations en réponse présentées par le requérant le 15 mai 1996 ;
Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, ressortissant des Etats-Unis d'Amérique d'origine yougoslave, né en 1939, était domicilié à Charleston (Caroline du Sud, Etats-Unis d'Amérique). Il était médecin et professeur de médecine à l'université de Charleston. Il est décédé le 30 novembre 1997 à New-York. Son épouse, Mme Smilja Medenica, et ses enfants, M. Dimitrije Medenica et Mme Olivera Medenica, en leur qualité d'héritiers ont exprimé le souhait de voir la procédure se poursuivre.

Le requérant est représenté devant la Cour par Me Charles Poncet, avocat au barreau de Genève (Suisse).

A.Circonstances particulières de l'affaire

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Arrivé en Suisse en 1966, docteur en médecine depuis 1970, le requérant était employé en tant que médecin à l'hôpital cantonal de Genève. Il s'occupait depuis 1973 de la collaboration entre l'hôpital cantonal de Genève et les organismes compétents de la République socialiste fédérative de République socialiste fédérative de Yougoslavie. Eu égard à sa nationalité d'origine et à sa connaissance de la langue des patients, il suivait plus particulièrement les malades yougoslaves hospitalisés à Genève.

Le 27 mars 1981, le procureur général du canton de Genève ouvrit une procédure pénale contre le requérant, sur dénonciation de l'Etat de Genève.
Dès le 9 septembre 1981, le requérant fut entendu à plusieurs reprises par le juge d'instruction cantonal.

Le 27 octobre 1982, le requérant fut arrêté et inculpé d'escroquerie, de contrainte et de faux dans les titres. Il lui fut reproché d'avoir causé, avec la complicité notamment d'un fonctionnaire du consulat de la République socialiste fédérative de Yougoslavie à Genève, un important préjudice aux institutions sociales yougoslaves.

Le 13 janvier 1984, la chambre d'accusation du canton de Genève ordonna la mise en liberté du requérant moyennant le versement d'une caution.
Le 27 janvier 1984, l'instruction préparatoire fut close et le dossier transmis au procureur général, pour une éventuelle mise en accusation.
Le 1er février 1984, le requérant fut mis en liberté, après paiement de la caution fixée.

Le requérant se rendit alors aux Etats-Unis d'Amérique, dont il acquit la nationalité et où il exerça l'activité de médecin spécialisé dans le traitement de certaines formes graves de cancer.

Par une première ordonnance rendue le 3 février 1986, la chambre d'accusation du canton de Genève renvoya le requérant en jugement devant la cour d'assises du canton de Genève. Sur recours du requérant, cette ordonnance fut ensuite annulée.

Par une ordonnance du 11 mars 1987, la chambre d'accusation décida à nouveau de renvoyer le requérant en jugement devant la cour d'assises du canton de Genève. Les recours formés par le requérant contre cette ordonnance furent rejetés.

Lors d'une réunion préliminaire tenue le 30 juin 1988, le président de la cour d'assises reçut le représentant du ministère public et les défenseurs du requérant à Genève. Il leur indiqua que les débats pourraient être fixés entre janvier et mai 1989.

Le 27 septembre 1988, le président de la cour d'assises reçut les parties et les informa de l'ouverture des débats, le 17 avril 1989.

Le président de la cour d'assises reçut les parties une nouvelle fois, après les avoir convoquées, en date du 13 mars 1989. A cette occasion, un des avocats de la défense envisagea une « demande qui pourrait tendre au renvoi des débats ».

Le 15 mars 1989, le président de la cour d'assises cita le requérant à comparaître devant la cour d'assises le 17 avril 1989.

Le 16 mars 1989, il procéda à l'audition du requérant en présence de son défenseur. Le requérant confirma qu'il assisterait à son procès. A l'issue de cette audience, il regagna les Etats-Unis.

Le 17 mars 1989, M. Stevinson, un patient américain du requérant requit la cour fédérale de district des Etats-Unis pour le district de la Caroline du Sud - division de Charleston (United States District Court for the District of South Carolina - Charleston Division) d'obliger le requérant à continuer de le soigner jusqu'à ce qu'un autre médecin puisse le remplacer et, dans l'intervalle, de lui interdire de quitter les Etats-Unis. Il faisait valoir que l'interruption des soins qui lui étaient prodigués par le requérant mettrait sa vie en danger.

Le 20 mars 1989, faisant suite à cette requête, le président de la cour de district rendit, en l'absence du requérant, une ordonnance de mesures pré- provisionnelles (temporary restraining order) par laquelle il lui interdisait de quitter le territoire des Etats-Unis, jusqu'à son audition par la cour le 27 mars suivant.

Le 22 mars 1989, un des avocats genevois et un avocat américain du requérant informèrent le parquet de cette ordonnance.

Le 27 mars 1989, une audience fut tenue devant le président de la cour fédérale de district pour le district de la Caroline du Sud. Le requérant affirma qu'il ne connaissait aucun médecin capable de se substituer à lui auprès de ses patients. Un des avocats du requérant exposa que la procédure en Suisse ne garantissait pas la connaissance par l'accusé des pièces du dossier, ni un débat vraiment contradictoire et que le requérant risquait la peine de mort en Suisse.

Par une ordonnance du 28 mars 1989, le juge américain interdit au requérant de quitter le territoire des Etats-Unis d'Amérique et lui enjoignit de lui remettre son passeport. Cette décision fut notifiée aux autorités suisses, et notamment au procureur général du canton de Genève, auquel un délai de soixante jours fut imparti pour se déterminer. Le requérant fut invité à trouver des médecins aptes à le remplacer dans le traitement de ses patients.
Après avoir transmis l'ordonnance du juge américain au parquet du canton de Genève, les avocats du requérant présentèrent plusieurs demandes de renvoi des débats, soit les 30 mars et 4 avril 1989 ainsi que lors de l'ouverture de l'audience devant la cour d'assises du canton de Genève, en date du 17 avril 1989.

Par une ordonnance du 19 avril 1989, le président de la cour d'assises refusa de renvoyer les débats au motif que l'absence du requérant était fautive. Le président releva notamment que l'ordonnance américaine reposait pour l'essentiel sur les témoignages des patients du requérant, soit sur des informations n'ayant aucune portée scientifique. De plus, il fit état du soutien, constant depuis plusieurs années, de personnalités américaines très influentes en Caroline du Sud et proches tant du juge que du requérant. Il observa que la décision paraissait bien favorable au requérant qui ne l'avait pas frappée d'appel, alors qu'il en avait eu la possibilité. Enfin, il convenait de relever, selon le président de la cour d'assises, que le requérant savait depuis longtemps qu'il serait jugé. Il avait connu la date approximative de son procès en juin 1988, la date exacte en septembre 1988 et il lui aurait appartenu, dès lors, en tant que médecin, d'assurer son remplacement s'il avait réellement désiré comparaître en jugement.

Des audiences eurent lieu devant la cour d'assises composée de son président et de douze jurés, du 19 avril au 26 mai 1989, en l'absence du requérant, mais en présence de ses deux défenseurs.

Dans l'intervalle, à savoir le 26 avril 1989, le requérant déposa devant la juridiction fédérale de Caroline du Sud une opposition contre l'ordonnance du 28 mars 1989, en invoquant en particulier le 5ème amendement de la Constitution américaine. Il fit valoir notamment que ce texte garantissait à tout citoyen des Etats-Unis le droit de voyager hors les frontières.
En réponse à la demande du requérant de fixer une audience, le juge américain fit savoir le 10 mai 1989 qu'il ne pourrait pas examiner le bien-fondé de l'opposition avant un délai de trente à soixante jours.

Par un jugement du 26 mai 1989, la cour d'assises du canton de Genève condamna le requérant par défaut à la peine de quatre ans d'emprisonnement, dont il resterait à subir deux ans, huit mois et 25 jours, et à dix ans d'expulsion du territoire suisse.

La cour d'assises reconnut le requérant coupable de faux dans les titres dans 300 cas sur les 302 qui lui étaient reprochés et de faux dans les titres pour avoir obtenu de sa secrétaire la signature, sous un nom qui n'était plus le sien, de dix-sept fausses quittances de frais. Le requérant fut également reconnu coupable d'autant escroqueries. Le jury fixa le montant du dommage allégué à environ un million de francs suisses.

Par contre, le jury acquitta le requérant de 672 cas de faux dans les titres.
Une demande d'arrestation immédiate du requérant présentée par le procurateur général après le prononcé du jugement fut rejetée par la cour d'assises au motif qu'une telle mesure pourrait être prise lorsque le jugement aurait acquis force de chose jugée.

Selon un article paru le 27 mai 1989, dans un quotidien de Genève, un des jurés, M. Eric Tauss, déclara après le verdict qu'il n'avait pas « compris grand-chose à toute cette histoire ». L'article poursuit : « (...) Il furent ainsi douze jurés et trois suppléants, tous combattants de la justice dite 'populaire'(...) » Il se termine sur ces mots : « Cassius Clay en personne est venu le travailler au corps, réclamer sa mansuétude. 'Et ce jour-là, confesse Eric Tauss, j'aurais bien voulu écouter. Mais voilà, la sono marchait mal, je n'ai rien entendu (...)' »

Contre le jugement de la cour d'assises du 26 mai 1989, le requérant introduisit deux recours, à savoir une opposition à défaut auprès de la cour de justice du canton de Genève et un pourvoi en cassation.
La procédure devant la cour de cassation du canton de Genève fut suspendue en raison de l'opposition formée par le requérant.

Devant la cour de justice du canton de Genève, le requérant fit valoir que son absence à l'audience du 17 avril 1989 n'était pas fautive. Il conclut à l'annulation du jugement de condamnation.

Le 20 novembre 1989, la chambre pénale de la cour de justice rejeta l'opposition. Elle estima notamment que le requérant était gravement fautif de n'avoir pas su transmettre son savoir médical à d'autres praticiens, alors qu'il savait depuis le 1er février 1984, date à laquelle il avait été remis en liberté, qu'un jour ou l'autre il devrait être jugé. En outre, il ne faisait guère de doute que la procédure initiée aux Etats-Unis était parfaitement connue du requérant. Il aurait eu, s'il avait voulu, la possibilité de s'y soustraire en restant à Genève à partir du milieu du mois de mars 1989. En ne le faisant pas, il avait commis une autre faute susceptible de faire déclarer sa requête irrecevable.

Le 2 février 1990, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Le 8 mars 1990, la cour fédérale de district pour le district de la Caroline du Sud annula l'ordonnance du 28 mars 1989 et ordonna la restitution du passeport au requérant.

Le 16 mai 1990, le requérant se présenta à l'audience de plaidoiries devant la cour de cassation du canton de Genève.

Par un arrêt du 27 juin 1990, la cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant comme infondé, en considérant que par son comportement, il était responsable de la situation l'empêchant de quitter ses patients et de comparaître devant la cour d'assises. En outre, ses déclarations devant la cour de district des Etats-Unis faisaient douter de sa volonté réelle de se rendre en Suisse pour y être jugé. Sa mauvaise foi était également confirmée par le fait qu'il avait trompé le juge américain sur le déroulement de la procédure pénale ouverte contre lui à Genève.
Le 1er octobre 1990, le requérant déposa un mémoire en cassation contre l'arrêt rendu par la cour d'assises le 26 mai 1989.

Le 14 février 1991, la cour de cassation du canton de Genève rejeta le pourvoi en cassation.

La cour de cassation considéra que l'argument tiré du refus du renvoi de l'affaire avait été écarté définitivement dans son arrêt du 27 juin 1990. Quant au grief du requérant concernant les déclarations d'un des jurés de la cour d'assises, la cour de cassation estima que les faits invoqués par le requérant postérieurement au jugement, n'étaient pas établis, une coupure de presse ne constituant pas une preuve. La cour de cassation estima également que les griefs tirés de la violation des droits de la défense étaient mal fondés dans la mesure où ils n'étaient pas tardifs pour avoir été rejetés dans les procédures antérieures. Enfin, la cour de cassation rejeta les critiques du requérant portant sur la qualification juridique des délits d'escroquerie et de faux dans les titres.
Agissant par la voie du recours de droit public, le requérant demanda au Tribunal fédéral d'annuler les arrêts rendus les 27 juin 1990 et 14 février 1991 par la cour de cassation du canton de Genève. Le requérant allégua notamment la violation du droit d'être entendu, du droit d'assister à son procès, du droit à un procès équitable, du droit à l'égalité des armes et du droit à la composition et au fonctionnement régulier d'un tribunal.
Par un arrêt du 23 décembre 1991, notifié aux conseils du requérant le 6 février 1992, le Tribunal fédéral rejeta le recours.

Le Tribunal fédéral estima que l'article 6 § 1 de la Convention ne s'opposait pas à ce que les débats aient lieu en l'absence de l'accusé lorsque celui-ci refusait d'y participer ou lorsqu'il se plaçait de façon fautive dans l'incapacité de le faire.

Le Tribunal fédéral considéra que le requérant avait induit le juge américain en erreur par des déclarations inexactes, notamment sur le déroulement de la procédure en Suisse, dans le but de provoquer un jugement le plaçant dans l'incapacité de se présenter au procès, ce qu'avaient d'ailleurs admis les défenseurs américains du requérant. En effet, le Tribunal fédéral releva que le requérant avait affirmé avoir été détenu illégalement («without charges») à Genève pendant seize mois et qu'il craignait d'être condamné à mort en Suisse. Il prétendit aussi que la défense n'avait pas eu accès au dossier, ni pu participer à la procédure antérieure.

Se référant à un avis de droit américain transmis à la cour d'assises par l'Ambassade de Suisse à Washington, le Tribunal fédéral se rallia aux conclusions des autorités cantonales selon lesquelles le requérant avait négligé de recourir efficacement contre l'ordonnance du juge américain du 28 mars 1989 en la déférant à une juridiction (la cour d'appel pour le Quatrième Circuit) qui aurait pu lui donner gain de cause. Le Tribunal fédéral nota par ailleurs que, selon l'auteur de l'avis de droit la décision du juge américain allait à l'encontre de l'intérêt public et du simple bon sens.
Le Tribunal fédéral considéra que, sous l'angle de la bonne foi, le requérant ne pouvait pas se prévaloir d'une décision qui reposait en fin de compte sur des déclarations équivoques, voire sciemment inexactes, qu'il avait faites devant le juge américain pour se soustraire à l'obligation de comparaître devant les juges suisses. Ces éléments permettaient, selon le Tribunal fédéral, d'en déduire que le requérant s'était mis par sa faute dans l'incapacité de se présenter aux débats.

En outre, le Tribunal fédéral considéra mal fondé le grief du requérant tiré de l'article 6 § 3 d) de la Convention en ce qu'il n'avait pas été confronté au fonctionnaire du consulat de la République socialiste fédérative de Yougoslavie à Genève. Le Tribunal fédéral observa que la seule fois où ce témoin avait comparu devant un juge yougoslave, en présence d'un défenseur du requérant, ce témoin s'était refusé à toute déclaration. Par la suite, les autorités de la République socialiste fédérative de Yougoslavie n'avaient jamais répondu à une demande d'extradition présentée par les autorités suisses. Le Tribunal fédéral ajouta que le requérant n'avait pas contesté que les documents recueillis auprès du juge yougoslave avaient été versés au dossier et qu'il avait pu en prendre connaissance.

Dans la mesure où le requérant se plaignait que les procès-verbaux des audiences tenues du 5 au 8 novembre 1982 à Genève par un juge d'instruction yougoslave, en présence du juge d'instruction genevois, du requérant lui-même et de son avocat, n'avaient pas été écartés du dossier et dans la mesure où il critiquait l'attitude du juge yougoslave lors de ces audiences, le Tribunal fédéral releva que le requérant n'avait pas prétendu qu'il aurait été empêché, lui ou son défenseur, d'exercer ses droits consacrés, en particulier, par l'article 6 § 3 d) de la Convention.

Pour autant que le requérant critiquait le refus de l'autorité de jugement de faire verser au dossier de la procédure les dossiers de divers établissements hospitaliers genevois, concernant des opérations frauduleuses visées dans les réquisitions du ministère public, le Tribunal fédéral observa que le requérant avait omis de préciser en quoi cette mesure aurait été de nature à porter atteinte aux droits de la défense. Il estima que ce grief était insuffisamment motivé et, partant, irrecevable au regard de l'article 90 al. 1 let. b de la Loi fédérale d'organisation judiciaire.

Le Tribunal fédéral considéra également comme irrecevable pour le même motif le grief du requérant relatif au refus des autorités cantonales d'écarter du dossier des documents qui auraient été obtenus illégalement.
Quant au grief relatif au refus des autorités cantonales d'ordonner un complément au rapport de l'expertise comptable, à savoir de procéder à un examen de la comptabilité du Consulat de République socialiste fédérative de Yougoslavie, le Tribunal fédéral observa que, selon les normes du droit international, les archives et documents consulaires étaient inviolables. En outre, les autorités yougoslaves avaient fourni des renseignements relatifs au compte bancaire utilisé pour le détournement de fonds et le requérant avait pu prendre connaissance de ces pièces versées au dossier. Les éléments réunis étaient donc suffisants. De surcroît, le requérant avait omis de préciser en quoi la décision attaquée aurait été arbitraire.
Enfin, pour autant que le requérant alléguait qu'un des membres du jury s'était trouvé dans l'incapacité d'assumer sa fonction, le Tribunal fédéral releva que les faits dénoncés, s'ils avaient été déterminants, auraient pu faire l'objet d'une enquête approfondie, consistant notamment dans l'interpellation du juré mis en cause et l'audition de témoins. Or, le requérant ne prétendait pas avoir demandé une telle enquête et il ne reprochait pas à la cour cantonale d'avoir omis de le faire d'office. Le Tribunal fédéral conclut qu'il n'était pas arbitraire de considérer que le fait allégué n'avait pas été établi. Enfin, le requérant n'avait pas démontré que ce juré aurait fait preuve de partialité à son encontre, ni que son comportement aurait influé sur le verdict dans un sens défavorable à la défense.

Le 26 juillet 1995, le requérant fut arrêté à l'aéroport de Munich (Allemagne), alors qu'il se rendait à un congrès. Extradé vers la Suisse, il fut transféré à la prison de Champ-Dollon. Une demande de grâce du requérant fut rejetée en février 1996. Il purgea le restant de sa peine en partie au quartier cellulaire de l'hôpital cantonal de Genève. Le 20 décembre 1996, il regagna les Etats-Unis.

GRIEFS

Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié du droit à un procès équitable. Il allègue en particulier la violation du droit d'assister à son procès, du principe de l'égalité des armes et du droit à un tribunal indépendant et impartial. Il invoque l'article 6 § 1 et § 3 c) et d) de la Convention.

1.Le requérant se plaint en particulier de sa condamnation par défaut. Il fait valoir qu'il est insoutenable de prétendre, comme l'ont fait les juridictions suisses, qu'il a omis de prendre les précautions élémentaires pour éviter d'être absent aux débats. En outre, il serait erroné de prétendre qu'il aurait renoncé à recourir contre la décision du juge américain. Il estime avoir non seulement fait son possible pour annuler cette décision, mais s'y être employé avec diligence. Il indique que, le 26 avril 1989 déjà, il essaya d'obtenir l'annulation de la décision américaine, alors que la cour d'assises avait refusé de renvoyer les débats par ordonnance du 19 avril 1989. Il conteste également d'avoir induit le juge américain en erreur sur la procédure suisse car, en droit américain, le terme de « charges » n'est utilisé que lorsque le jury a procédé à un examen préliminaire des preuves, suite à la mise en accusation. Il serait ainsi exact qu'il a été détenu préventivement « without charges » au sens du droit américain. Le requérant conteste en outre l'affirmation du Tribunal fédéral selon laquelle il s'est mis, par sa faute, dans l'incapacité de se présenter aux débats. Se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, il souligne que le fardeau de la preuve d'une absence non fautive n'incombe pas à la personne condamnée par défaut. Il allègue la violation de l'article 6 § 1 et § 3 c) de la Convention.

2.Quant aux déclarations faites par un des jurés à la presse après le prononcé du verdict, le requérant se plaint qu'il n'a pas été entendu par un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. Il soutient que, n'ayant pas écouté, voire pas entendu, n'avoir rien compris au dossier, ce juré n'a pu assumer sa fonction de juré. Il n'aurait donc pas rempli son rôle et la cour d'assises n'aurait été composée que de onze jurés au lieu de douze, contrairement à la loi. Selon le requérant, ces déclarations engendrent des doutes sérieux, objectivement justifiés, quant au fonctionnement de la cour d'assises. Lorsque l'apparence de prévention suffit à entraîner la récusation d'un juge, l'apparence de l'incapacité d'un membre du jury doit également entraîner l'annulation du verdict rendu par ce jury.

3.Le requérant se plaint en outre que les autorités suisses ont refusé d'ordonner des mesures d'instruction complémentaires, notamment l'apport à la procédure d'une expertise comptable et de documents concernant divers établissements hospitaliers.

Il se plaint également que les autorités suisses n'ont pas écarté du dossier des pièces recueillies, selon lui, de manière illégale. Dans ce contexte, il se réfère à des pièces relatives à certaines commissions rogatoires exécutées à l'étranger et à l'audition d'un juge yougoslave à Genève. Celui-ci se serait comporté en véritable partie. La production par commission rogatoire de témoignages à charge sans que la défense ait pu poser des questions aux témoins, constituerait une violation flagrante et manifeste de l'article 6 § 3 d) de la Convention.

4.Le requérant se plaint enfin du refus des tribunaux suisses d'interroger en tant que témoin à charge un fonctionnaire du consulat de la République socialiste fédérative de Yougoslavie à Genève. Le fait que ce témoin avait refusé de faire des déclarations dans son pays ne justifierait pas le refus de l'interroger une nouvelle fois en Suisse.

B.Droit interne pertinent

Aux termes de l'article 331 du code de procédure genevois, le condamné par défaut peut faire l'opposition au jugement s'il justifie que, sans sa faute, il n'a pu connaître la citation ou se présenter aux débats.

PROCÉDURE

La requête a été introduite le 3 août 1992 et enregistrée le 13 août 1992.
Le 16 janvier 1996, la Commission européenne des Droits de l'Homme a décidé de porter les griefs du requérant concernant sa condamnation par défaut et l'impartialité de la cour d'assises du canton de Genève à la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
Le Gouvernement défendeur a présenté ses observations le 22 mars 1996 et le requérant y a répondu le 15 mai 1996.

En vertu de l'article 5 § 2 du Protocole n° 11, entré en vigueur le 1er novembre 1998, l'affaire est examinée par la Cour européenne des Droits de l'Homme à partir de cette date.

EN DROIT

Le requérant estime que les juridictions suisses n'ont pas respecté ses droits de la défense. Il invoque les paragraphes 1 et 3 c) et d) de l'article 6 de la Convention, aux termes desquels :

« 1.Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

(...)

3.Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...) ;

d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

1.La Cour constate, d'abord, que le requérant fut condamné par les tribunaux suisses à quatre ans d'emprisonnement pour faux dans les titres et escroquerie. Elle estime que la veuve et les enfants de M. Rajko Medenica ont un intérêt moral légitime à faire constater que la condamnation de ce dernier a eu lieu en méconnaissance du droit à un procès équitable invoqué par celui- ci devant les organes de la Convention (cf. arrêt Nölkenbockhoff c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123, pp. 77-78, § 33). En outre, elle considère que les héritiers du requérant ont aussi un intérêt matériel certain au titre de l'article 41 de la Convention.

Par conséquent la Cour reconnaît à Mme Smiljia Medenica et à ses deux enfants, M. Dimirije Medenica et Mme Olivera Medenica, qualité pour se substituer désormais au requérant en l'espèce.

2.Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tiré du défaut d'épuisement des voies de recours internes. Le Gouvernement fait observer que, par lettre du 18 décembre 1995, le requérant a remis à la Commission deux documents qui démontreraient qu'il ne pouvait valablement s'opposer à l'ordonnance du juge américain lui interdisant de quitter le territoire des Etats-Unis d'Amérique. Si le requérant estime que ces deux documents constituent des preuves essentielles qu'il n'avait pu apporter lors de la procédure nationale, il aurait dû alors, d'après le Gouvernement, demander la révision de son jugement selon les formes et conditions prescrites par le droit interne.

Le requérant fait valoir qu'il avait déjà apporté la preuve devant le Tribunal fédéral qu'il ne pouvait pas se soustraire à l'ordonnance du juge américain lui faisant interdiction de sortir du territoire des Etats-Unis. Les nouvelles pièces produites ne font que corroborer les faits déjà prouvés par lui. Dès lors, contrairement à ce que prétend le Gouvernement défendeur, la voie de la révision de l'arrêt du Tribunal fédéral du 23 décembre 1991 n'est pas ouverte.

La Cour rappelle que la finalité de l'article 35 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention (voir, par exemple, les arrêts Hentrich c. France du 22 septembre 1994, série A n° 296-A, p. 18, § 33 ; Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, p. 571, § 33, Selmouni c. France du 28 juillet 1999 à paraître dans le recueil officiel de la Cour, § 74 ). Les Etats n'ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Cette règle se fonde sur l'hypothèse, objet de l'article 13 de la Convention - et avec lequel elle présente d'étroites affinités - que l'ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme (arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 22, § 48, Akdivar et autres c. Turquie du 16 décembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, § 65). Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d'abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, § 34).
La Cour relève que dans la présente espèce, qu'un des moyens du recours de droit public formé par le requérant s'appuie clairement sur la question des décisions du juge américain et les efforts du requérant à obtenir leur annulation. Dès lors, le requérant a soumis au Tribunal fédéral ce qui forme à présent l'objet de sa requête. La Cour estime que l'exception de non- épuisement soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.
3.Le requérant se plaint en particulier que les juridictions suisses n'ont pas respecté ses droits de la défense.

Pour autant que le requérant allègue la violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention, la Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti au plan général par le paragraphe 1. C'est pourquoi elle estime approprié d'examiner les griefs du requérant sous l'angle des deux textes combinés (voir notamment les arrêts Pullar c. Royaume-Uni du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décision 1996-III, p. 796, § 45, et Foucher c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 464, § 30). La Cour rappelle en outre que la question de savoir si une procédure s'est déroulée conformément aux exigences du procès équitable, telles que prévues à l'article 6 § 1 de la Convention, s'apprécie au regard de l'ensemble de celle-ci (voir, notamment, arrêts Delta c. France du 19 décembre 1990, série A n° 191-A, p. 15, § 35 ; Imbrioscia c. Suisse du 24 novembre 1993, série A n° 275, pp. 13- 14, § 38 ; Miailhe c. France (n° 2) du 26 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1338, § 43).
a) Le requérant se plaint en particulier que la cour d'assises du canton de Genève l'a condamné en son absence.

Le Gouvernement soutient que l'absence du requérant devant la cour d'assises du canton de Genève résulte de son comportement fautif au cours de la procédure devant le juge américain, comme l'a retenu le Tribunal fédéral dans son arrêt du 23 décembre 1989. Selon le Gouvernement, le requérant a activement favorisé la décision du juge américain et n'a pas entrepris les démarches nécessaires pour s'opposer efficacement à celle-ci. Le défenseur américain du requérant n'a d'ailleurs pas caché que le but de la défense était d'obtenir le renvoi du jugement en Suisse. Sans nullement remettre en question les compétences médicales du requérant, le Gouvernement suisse s'étonne, à l'instar du Tribunal fédéral, du caractère péremptoire des affirmations du requérant, selon lesquelles il était le seul médecin aux Etats-Unis capable de soigner efficacement son patient M. Stevinson et s'il était empêché de lui administrer même un seul traitement, son patient serait alors condamné à mourir. Le Gouvernement se demande si on peut réellement accréditer la thèse du requérant selon laquelle il serait irremplaçable, alors qu'il est notoirement connu que les Etats-Unis sont à la pointe de la recherche en cancérologie, et qu'il semble improbable que le requérant n'ait jamais pris de vacances et qu'il ne se soit jamais rendu à l'étranger pour assister à des congrès ou à d'autres fin depuis son établissement dans ce pays en 1984.

Le Gouvernement considère également que l'avocat américain du requérant a tenu des propos, pour le moins surprenants, sur le déroulement de la procédure dont il faisait l'objet en Suisse, mettant en doute le caractère contradictoire des débats et alléguant qu'il n'avait pas eu accès à certaines pièces du dossier et qu'il risquait la peine de mort. Le Gouvernement est convaincu que le requérant a, par son comportement et ses allégations, influencé de façon décisive le juge américaine et s'est mis ainsi dans l'impossibilité d'assister à son procès. Par ailleurs, le Gouvernement constate qu'un ajournement des débats aurait constitué un élément important sur la voie de la prescription absolue des infractions reprochées au requérant.

Quant au comportement du requérant après l'ordonnance du juge américain, le Gouvernement relève que le requérant avait omis de recourir dans les trente jours auprès de la cour d'appel pour le Quatrième Circuit. Un tel recours aurait eu de bonnes chances de succès. Le fait que le requérant a omis d'emprunter cette voie de recours démontre, selon le Gouvernement, le peu de cas qu'il faisait de son obligation d'assister à son procès.
Quant à la demande de réexamen, le Gouvernement expose que le requérant ne l'a introduite que le 26 avril 1989, soit dans les ultimes jours du délai qui courait pourtant depuis le 28 mars et après la date fixée pour l'audience.
Le Gouvernement conclut que le jugement par défaut prononcé par la cour d'assises ainsi que le rejet de la demande de réexamen de la cause n'ont pas méconnu le droit du requérant d'assister à son procès au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

Le requérant conteste qu'une faute puisse être retenue à sa charge. Il n'a jamais prétendu être le seul médecin pouvant soigner efficacement M. Stevinson aux Etats-Unis. Il est exact en revanche qu'il était le premier parmi les nombreux médecins consultés par M. Stevinson qui soit parvenu à améliorer son état de santé grâce au traitement prodigué, alors que l'espérance de vie de celui-ci n'était que de quatre semaines selon les spécialistes précédemment consultés. Il a donc répondu aux questions que lui posait le juge américain au plus près de sa conscience, et on ne saurait lui reprocher d'avoir ainsi eu un comportement fautif.
En outre, il n'aurait pas eu un comportement fautif après le prononcé de l'ordonnance du juge américain. Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, il n'a pas intentionnellement omis d'emprunter une voie de recours, puisque le 30 mars 1989 déjà, soit deux jours après le prononcé de l'ordonnance, son conseil américain, auquel il avait expressément demandé de contester cette décision, lui indiquait que l'on ne pouvait faire appel avant que les autorités suisses ne se soient prononcées. A cet égard, le requérant rappelle que les autorités suisses ne sont absolument pas intervenues dans la procédure américaine et qu'elles n'ont même pas fait usage du délai qui leur avait été accordé pour se prononcer sur le contenu de l'ordonnance. Enfin, le Gouvernement n'explique pas sur quelle base juridique reposerait la prétendue obligation d'entreprendre toutes les démarches possibles pour s'opposer à la décision prise par son propre pays. Selon le requérant, il est dès lors indéniable que les autorités suisses ont consacré une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention en refusant de renvoyer les débats ou de lui accorder un réexamen de sa cause.
Après avoir examiné les arguments des parties, la Cour estime que ce grief soulève des questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé en application de l'article 35 § 3 de la Convention.
b)Le requérant se plaint également que l'impartialité de la cour d'assises du canton de Genève a été sérieusement compromise. Les déclarations faites à la presse par un des jurés après le verdict constitueraient un indice suffisant permettant de conclure à l'irrégularité de la délibération du jury.
Le Gouvernement soutient que pareil indice - à condition que son authenticité soit établi - ne saurait justifier, à lui seul, la conclusion que le requérant n'a pas bénéficié d'un procès équitable.

Selon le Gouvernement, ces prétendues déclarations d'un juré publiées dans la presse ne reposent sur aucun fait établi, une coupure de presse ne constituant pas un moyen de preuve. Le Gouvernement souligne à cet égard que le requérant n'a pas demandé à la cour cantonale d'interpeller le juré en question ni même reproché à la cour d'avoir omis de le faire d'office alors que de telles mesures d'investigations étaient possibles. Même si l'on devrait admettre la réalité des déclarations de ce juré, le Gouvernement se référerait alors à la jurisprudence de la Cour selon laquelle les doutes éventuels quant à un examen équitable de l'affaire se justifient objectivement (voir l'arrêt Kraska c. Suisse du 19 avril 1993, série A n° 254-B, p. 50, § 32). Or, dans la présente affaire, au regard de l'ensemble des circonstances, les craintes exprimée par le requérant sur le caractère équitable du procès ne sauraient en aucun cas passer pour objectivement justifiées.

Le Gouvernement rappelle que la cour d'assises a siégé pendant six semaines, parfois plusieurs heures par jour. Les audiences ont été fastidieuses, en raison de la complexité d'une affaire portant sur plusieurs centaines d'escroqueries et du grand nombre de témoins et d'experts cités à la barre. Dans ces conditions, il ne serait que peu étonnant, selon le Gouvernement, de constater que l'attention d'un juré laïc puisse se relâcher de temps en temps sans pour autant que l'on puisse affirmer que ce juré n'a pas été en mesure de se prononcer, en pleine connaissance de cause, sur le bien fondé de l'accusation. Quant à l'audition de l'ancien champion de boxe Mohamed Ali, elle a été entravée par les difficultés d'élocution de ce témoin, atteint par la maladie de Parkinson. En outre, trois jurés suppléants ont été tirés au sort. Si, au cours des débats, le juré, auteur des déclarations litigieuses, avait réellement eu des doutes sur son aptitude à connaître et à juger la cause, il lui aurait été loisible de demander son remplacement. Or, ce juré n'a pas demandé à être relevé de ses fonctions. Le Gouvernement en conclut qu'il estimait avoir suivi les débats avec l'attention voulue et qu'il connaissait suffisamment les circonstances de la cause pour délibérer sur le bien-fondé de l'accusation portée contre le requérant. Enfin, le Gouvernement fait observer que le président de la cour d'assises a assisté à la délibération du jury. Bien qu'il ne participe pas au verdict, il peut renseigner le jury sur toutes les questions intéressant la cause. Ce système permet ainsi à tout juré d'obtenir les éclaircissements nécessaires pour asseoir sa conviction quant à la culpabilité de l'accusé et limite ainsi considérablement le risque que le verdict soit prononcé par un jury ne connaissant pas ou insuffisamment les circonstances de la cause. Le Gouvernement rappelle dans ce contexte que la Commission européenne des Droits de l'Homme a estimé que le risque d'influence des médias sur les jurés est limité lorsque des juges professionnels et le jury ont décidé conjointement de la question de la culpabilité de l'accusé (requête n° 17265/90, Baragiola c. Suisse, décision du 21 octobre 1993, D. R. 75, pp. 76 et 97).

Le requérant conteste la thèse du Gouvernement qui, selon lui, entend restreindre de façon indue la portée de l'article 6 § 1 de la Convention. Il souligne que la Cour a clairement établi qu'en la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (arrêt Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, p. 21, § 48). Selon le requérant, il est totalement erroné de soutenir que l'irrégularité constatée ne jouerait pas un rôle décisif dans la présente procédure. En effet, toute décision est prise à la majorité des membres du jury. Toutefois, en cas d'égalité des voix, l'avis favorable à l'accusé prévaut. Cela signifie qu'une seule voix peut suffire à faire pencher la balance vers un verdict de culpabilité plutôt d'acquittement. Le requérant demande si ce n'est pas précisément la voix du juré en cause qui a été décisive dans le verdict de culpabilité prononcé à l'encontre du requérant.

Selon le requérant, le fait que le président de la cour d'assises assiste à la délibération du jury ne modifie aucunement cette situation puisqu'il ne participe à la délibération que pour renseigner le jury, sans formuler d'appréciation sur la culpabilité. On ne se trouve dès lors pas dans une situation où le juge professionnel et le jury décideraient conjointement de la question de la culpabilité de l'accusé.

Le requérant est d'avis que lorsqu'un juré reconnaît n'avoir pas écouté, voire pas entendu, et ne comprenant rien au dossier, n'a assurément pas assumé la fonction de juré qui lui était dévolue ; il n'a pas rempli son rôle et la cour d'assises n'a été composée que de onze jurés, contrairement à la loi.

La Cour rappelle qu'en matière d'impartialité, il faut distinguer entre une démarche subjective, tendant à déterminer ce qu'un juge pense dans son for intérieur, et une démarche objective, amenant à rechercher si celui-ci offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard. Si l'impartialité subjective se présume jusqu'à preuve du contraire, même les apparences peuvent revêtir une certaine importance en matière d'impartialité objective. L'optique du justiciable entre alors en ligne de compte, « mais ne joue pas un rôle décisif. L'élément déterminant consiste à savoir si l'on peut considérer les appréhensions de l'intéressé comme objectivement justifiées. » (arrêts Fey c. Autriche du 24 février 1993, série A n° 255, p. 12, § 30, Findlay c. Royaume-Uni du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 281, § 73, Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3116, § 45).

La Cour relève en l'espèce que, bien que les intérêts du requérant aient été défendus par des avocats qui l'assistèrent tout au long de la procédure, le requérant, comme l'a constaté le Tribunal fédéral, n'a pas fait usage de la possibilité de demander une enquête approfondie, consistant notamment dans l'interpellation du juré mis en cause et l'audition de témoins.
Dès lors, la Cour ne décèle, dans les circonstances particulières de l'espèce, aucun élément permettant d'affirmer que le juré visé ait fait preuve de partialité, ni que son comportement ait influé sur le verdict dans un sens défavorable au requérant.

c)Le requérant se plaint également que la cour d'assises a refusé des moyens de preuve proposés par la défense et a eu recours à des moyens de preuves inadmissibles. Il se plaint enfin que la cour d'assises a omis d'interroger, en tant que témoin à charge, un fonctionnaire du consulat de la République socialiste fédérative de Yougoslavie à Genève.
La Cour rappelle que la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel. La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l'admissibilité d'une preuve recueillie sans respecter les prescriptions du droit national. Il revient aux juridictions internes d'apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production. La Cour a néanmoins pour tâche de rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable voulu par l'article 6 § 1 (voir les arrêts Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, pp. 436- 437, § 34, et, mutatis mutandis, Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A n 140, p. 29, § 46).

En ce qui concerne la non-audition de témoins, la Cour rappelle également que l'article 6 § 3 d) ne reconnaît pas à l'accusé un droit illimité d'obtenir la convocation de témoins en justice (Comm. eur. D.H., requête n° 10563/83, déc. 5.7.85, D.R. 44, p. 113) et qu'« il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité de citer un témoin » (arrêt Bricmont c. Belgique du 7 juillet 1989, série A n° 158, p. 31, § 89).
En l'espèce, la Cour relève que les éléments à charge ont été présentés et discutés contradictoirement devant les juges du fond et que le requérant, par l'intermédiaire de ses avocats, a pu faire valoir tous les arguments qu'il a estimé utiles à la défense de ses intérêts et présenter les moyens de preuve en sa faveur. En particulier, il a pu effectivement donner sa propre version des faits. En outre, il ressort de l'arrêt de la cour d'assises que la constatation de la culpabilité du requérant s'appuyait sur un ensemble d'éléments de preuve recueillis tant au stade de l'instruction que pendant les débats devant la cour d'assises que celle-ci a apprécié avec soin.
Quant à la non-audition d'un fonctionnaire du consulat de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, en tant que témoin à charge, la Cour note que, selon le Tribunal fédéral, ce témoin s'était refusé à toute déclaration lorsqu'il avait comparu devant un juge yougoslave en présence d'un avocat choisi par le requérant et que par la suite une demande d'extradition est restée infructueuse. Enfin, le requérant n'avait pas contesté que les documents recueillis auprès du juge yougoslave avaient été versés au dossier et il en avait pu prendre connaissance.
La Cour estime que les tribunaux suisses n'ont fait preuve d'aucun arbitraire en n'interrogeant pas le témoin cité par la défense. Sa non-audition n'a donc pas, dans les circonstances de la cause, porté atteinte aux droits de la défense, ni privé le requérant d'un procès équitable.

Dans ces circonstances, la Cour ne décèle aucun atteinte au droit du requérant, tel que garanti par l'article 6 de la Convention.
Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

DÉCLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ;

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.

Erik FriberghChristos Rozakis GreffierPrésident
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Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 20491/92
Date : 16 décembre 1999
Publié : 16 décembre 1999
Source : Arrêts CourEDH (Suisse)
Statut : 20491/92
Domaine : (Art. 34) Requêtes individuelles (Art. 34) Locus standi (Art. 35) Conditions de recevabilité (Art. 35-1)
Objet : MEDENICA contre la SUISSE


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