Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête N° 24179/94

présentée par Enver DOGAN

contre la Suisse

__________

La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 16 octobre 1996 en présence
de

Mme G.H. THUNE, Présidente

MM. S. TRECHSEL

J.-C. GEUS

G. JÖRUNDSSON

A. GÖZÜBÜYÜK

J.-C. SOYER

H. DANELIUS

F. MARTINEZ

L. LOUCAIDES

M.A. NOWICKI

I. CABRAL BARRETO

J. MUCHA

D. SVÁBY

P. LORENZEN

E. BIELIUNAS

E.A. ALKEMA

Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 9 mai 1994 par Enver DOGAN contre la
Suisse et enregistrée le 24 mai 1994 sous le N° de dossier 24179/94 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, ressortissant turc né en 1966, était apprenti

coiffeur au moment de l'introduction de la requête. Il réside en
Suisse. Devant la Commission, il est représenté par Maître Pierre
Joset, avocat au barreau de Bâle.

Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant,

peuvent se résumer comme suit.

Le 29 novembre 1989, la soeur du requérant fut tuée par son mari,
K., de plusieurs balles dans la tête.

Poursuivi pour ces faits, K. fut renvoyé en jugement devant le
tribunal de Liestal. Les débats débutèrent le 13 décembre 1990 ; le
14 décembre 1990, lors de la lecture du jugement prononcé à l'encontre
de K., le requérant tira sur ce dernier, l'atteignant de six balles et
le blessant grièvement à la tête et dans la région du bassin.
Renvoyé en jugement pour ces faits, le requérant fut condamné par
le tribunal de Liestal, le 7 février 1992, à cinq ans de réclusion pour
tentative de meurtre et mise en danger de la vie d'autrui ; les juges
ordonnèrent par ailleurs que la psychothérapie ambulatoire déjà
commencée fût poursuivie durant l'exécution de la peine.

Le 19 janvier 1993, le tribunal supérieur du canton de Bâle

siégeant dans une composition de cinq juges, en l'occurrence W.,
président, B., G., L. et Z., rejeta le recours formé par le requérant
à l'encontre de cette décision ; il écarta également sa demande visant
à faire établir une contre-expertise psychiatrique, aux motifs que les
rapports produits au cours de la procédure par les médecins D.,
psychiatre, et M., psychologue, étaient complets et suffisants.
Contre ce jugement, le requérant adressa un pourvoi en nullité
au Tribunal fédéral, alléguant notamment, d'une part, qu'il aurait dû
être condamné pour tentative de meurtre par passion et non de meurtre
et, d'autre part, qu'il convenait de suspendre l'exécution de la peine
au profit du traitement ambulatoire ou de faire réaliser une nouvelle
expertise sur cette question.

Par arrêt du 6 octobre 1993, le Tribunal fédéral admit ledit
pourvoi et renvoya l'affaire au tribunal supérieur du canton de Bâle
pour nouvelle décision au motif que le jugement attaqué était
insuffisamment motivé, en particulier sur les points de savoir si le
requérant avait agi alors qu'il était en proie à une émotion violente
excusable et si l'exécution de la peine était compatible avec le
traitement ambulatoire.

Le 4 novembre 1993, le requérant demanda que le tribunal

supérieur du canton de Bâle siégeât dans une nouvelle composition.
Le 6 décembre 1993, le tribunal supérieur du canton de Bâle, en
l'occurrence les juges K., présidente, Ba., Bal., Bb. et H., écarta
cette demande, au motif que le renvoi de la cause par le Tribunal
fédéral à la juridiction ayant déjà connu de l'affaire ne suffisait pas
à mettre en doute son impartialité. En particulier, il souligna que
la récusation des magistrats ayant déjà participé à la procédure ne
pouvait être fondée sur le fait que la contre-expertise psychiatrique
sollicitée par le requérant et qui aurait dû porter sur la

compatibilité du traitement avec l'exécution de la peine et non sur la
culpabilité, avait été rejetée.

Le 10 janvier 1994, le requérant saisit le Tribunal fédéral d'un
recours de droit public, se plaignant de ce que les juges du tribunal
supérieur du canton de Bâle ayant siégé le 19 janvier 1993 ne
satisfaisaient plus aux exigences d'indépendance et d'impartialité en
raison du fait qu'ils s'étaient déjà prononcés sur l'affaire.
Le Tribunal fédéral rejeta ledit recours par arrêt du

27 janvier 1994, rendu en application de l'article 36a de la Loi
fédérale d'organisation judiciaire, qui dispose :

"1. Les sections, siégeant à trois juges, décident à

l'unanimité, sans délibération publique :

(...)

b) de rejeter un recours manifestement infondé ;

(...)

3. Les sections motivent sommairement leurs décisions. Elles
peuvent renvoyer aux motifs de la décision attaquée ou au mémoire
d'une partie ou d'une autorité."

A cet égard, le Tribunal fédéral rappela sa jurisprudence

constante selon laquelle le renvoi pour nouvelle décision par
l'autorité supérieure ne permettait pas de mettre en doute

l'impartialité de la juridiction inférieure au seul motif que celle-ci
avait déjà connu de la cause, sous réserve d'erreurs graves ou répétées
commises par les magistrats ; se référant à la motivation contenue dans
la décision attaquée, il considéra que de telles erreurs ne pouvaient
être reprochées aux juges W., B., G., L. et Z.

L'audience devant le tribunal supérieur du canton de Bâle eut
lieu le 28 juin 1994 ; à cette occasion, les parties et l'expert D.,
psychiatre, furent entendus.

Par jugement amplement motivé du même jour, le tribunal supérieur
du canton de Bâle, siégeant dans une composition de cinq juges, en
l'occurrence W., président, G., L., T. et Z., rejeta le recours formé
par le requérant à l'encontre de la décision rendue par le tribunal de
Liestal le 7 février 1992 et confirma la condamnation à cinq ans de
réclusion pour tentative de meurtre et mise en danger de la vie
d'autrui ainsi que la continuation de la psychothérapie ambulatoire
durant l'exécution de la peine.

Par deux arrêts amplement motivés du 16 novembre 1994, le

Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public et le pourvoi en
nullité interjetés par le requérant contre le jugement du 28 juin 1994.
GRIEFS

Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, le requérant se
plaint de ne pas avoir été jugé par un tribunal indépendant et
impartial en raison du fait que le tribunal supérieur du canton de Bâle
a siégé dans une composition identique le 28 juin 1994, après
l'annulation du jugement du 19 janvier 1993 et le renvoi de l'affaire
à cette même juridiction par le Tribunal fédéral. Il souligne
notamment que le fait que les magistrats avaient rejeté la

contre-expertise qu'il avait sollicitée est un élément permettant de
douter de leur impartialité.

Invoquant les articles 6 par. 1 et 13 de la Convention, le

requérant se plaint de ce que son droit d'être entendu a été méconnu
et de ce qu'il n'a pas bénéficié d'un recours effectif. A cet égard,
il allègue que le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 27 janvier 1994,
a rejeté son recours de droit public selon une procédure sommaire, sans
se prononcer sur ses arguments et par référence à l'argumentation
contenue dans la décision du tribunal supérieur du canton de Bâle datée
du 6 décembre 1993.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint de ce que sa cause n'a pas été entendue
par un tribunal indépendant et impartial. A cet égard, il allègue que
le tribunal supérieur du canton de Bâle a siégé dans une composition
identique le 28 juin 1994, après l'annulation d'un premier jugement et
le renvoi de l'affaire à cette même juridiction par le Tribunal
fédéral. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention,
dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :

"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

équitablement, (...) par un tribunal indépendant et impartial,
(...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute

accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)"

La Commission rappelle que pour établir si un tribunal peut

passer pour indépendant, il échet de prendre en compte, notamment, le
mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l'absence
d'instructions et l'existence de garanties contre des pressions
extérieures. Par ailleurs, pour apprécier si un tribunal est
impartial, il convient de distinguer entre une démarche subjective,
destinée à établir la conviction personnelle des juges, et une démarche
objective amenant à assurer que les magistrats offraient des garanties
suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Cour eur.
D.H., arrêt Bulut c. Autriche du 22 février 1996, Recueil 1996, § 31,
à paraître).

La Cour a en outre précisé, d'une part, qu'il ne saurait être
posé "en principe général découlant du devoir d'impartialité qu'une
juridiction de recours annulant une décision... a l'obligation de
renvoyer l'affaire à une autre autorité" et, d'autre part, que ne
constitue pas un motif de suspicion légitime le fait, pour des juges
ayant pris part à la première décision, de participer à la seconde
(Cour eur. D.H., arrêts Ringeisen c. Autriche du 16 juillet 1971,
série A n° 13, p. 40, § 97, Diennet c. France du 26 septembre 1995,
série A n° 325-A, p. 17, § 38 et Thomann c. Suisse du 10 juin 1996, à
paraître, § 33).

La Commission observe en l'espèce que le requérant se plaint du
manque d'indépendance et d'impartialité des seuls juges du tribunal
supérieur du canton de Bâle ayant statué le 28 juin 1994. A cet égard,
elle ne relève aucun élément permettant de douter de leur indépendance.
Quant à l'aspect subjectif de l'impartialité de ces magistrats, elle
observe que rien n'indique un quelconque préjugé de leur part ; aucun
reproche n'est d'ailleurs formulé à ce sujet par le requérant. Reste
donc l'aspect objectif.

A cet égard, la Commission souligne que le fait que le tribunal
supérieur du canton de Bâle a siégé deux fois dans une composition
quasi identique et en la même qualité, en l'occurrence sur l'appel
interjeté par le requérant contre le jugement du tribunal de Liestal
du 7 février 1992, ne suffit pas à mettre en doute l'impartialité
objective de ses membres. Elle ne décèle en outre aucun élément
susceptible d'aboutir à la conclusion que cette juridiction n'aurait
pas satisfait aux exigences de l'article 6 (art. 6) de la Convention.
En particulier, le rejet de la contre-expertise sollicitée par le
requérant, laquelle concernait la compatibilité d'un traitement avec
l'exécution de la peine, ne saurait être considéré comme un indice de
partialité. Enfin, la Commission relève que les magistrats en cause,
après le renvoi de l'affaire par le Tribunal fédéral, ont réexaminé
l'ensemble du dossier lors de l'audience du 28 juin 1994, procédant
notamment à l'audition du requérant et de l'expert D.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée, en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.

2. Invoquant les articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, 13) de la
Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un
recours effectif et de ce que son droit d'être entendu a été méconnu.
A cet égard, il allègue que le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 27
janvier 1994, a rejeté son recours de droit public selon une procédure
sommaire et sans examiner ses griefs.

L'article 13 (art. 13) dispose :

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la
présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un

recours effectif devant une instance nationale, alors même que
la violation aurait été commise par des personnes agissant dans
l'exercice de leurs fonctions officielles."

Dans la mesure où le requérant invoque l'article 6 (art. 6), la
Commission rappelle que cette disposition régit uniquement les
"contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil" ou
les procédures relatives au "bien-fondé de toute accusation en matière
pénale". Or l'arrêt du Tribunal fédéral du 27 janvier 1994, seule
décision contestée en l'espèce, ne visait que la question de la
récusation des juges W., B., G., L. et Z., et n'était en conséquence
pas destiné à trancher les accusations pénales dirigées contre le
requérant ; l'article 6 (art. 6) ne peut dès lors trouver à

s'appliquer.

Il s'ensuit que l'article 13 (art. 13) est également

inapplicable, conformément à la jurisprudence selon laquelle le droit
à l'octroi d'un recours effectif garanti par cette disposition ne peut
être revendiqué lorsque les griefs invoqués se situent en dehors du
champ d'application de la Convention (N° 24359/94, déc. 30.6.95, D.R.
82-A p. 56).

Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour
incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la
Convention, en application de son article 27 par. 2 (art. 27-2).
Par ces motifs, la Commisssion, à l'unanimité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

M.-T. SCHOEPFER G.H. THUNE

Secrétaire Présidente

de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 24179/94
Date : 16 octobre 1996
Publié : 16 octobre 1996
Source : Arrêts CourEDH (Suisse)
Statut : 24179/94
Domaine : (Art. 6) Droit à un procès équitable (Art. 6-1) Tribunal impartial (Art. 13) Droit à un recours effectif
Objet : DOGAN contre la SUISSE


Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
tribunal fédéral • doute • recours effectif • recours de droit public • liestal • vue • traitement ambulatoire • unanimité • droit d'être entendu • pourvoi en nullité • expertise psychiatrique • accusation en matière pénale • procédure sommaire • mise en danger de la vie d'autrui • droit à une autorité indépendante et impartiale • force obligatoire • décision • récusation • incompatibilité • bénéfice
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