Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 42127/98

présentée par W. A.[Note1]

contre la Suisse[Note2]

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 12 janvier 1999 en présence de

M.C. Rozakis, président,

MM. Fischbach,

M.L. Wildhaber,

M.G. Bonello,

MmeV. Stráznická,

M.P. Lorenzen,

MmeM. Tsatsa-Nikolovska, juges

et deM.E. Fribergh, greffier de section ;

Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 4 mai 1998 par W. A. contre la Suisse et enregistrée le 9 juillet 1998 sous le n° de dossier 42127/98 ;
Vu le rapport prévu à l'article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, ressortissant érythréen né en 1958, soudeur, résidait en Suisse au moment de l'introduction de la requête. Devant la Cour, il est représenté par Monsieur Michel Zahnd, retraité, domicilié en Suisse.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

A. Circonstances particulières de l'affaire

Le requérant arriva en Suisse en 1983, accompagné de son épouse. Il y déposa une demande d'asile, laquelle fut définitivement rejetée en 1990. Toutefois, le requérant, sa femme et leurs deux fils, nés en Suisse en 1984, respectivement en 1990, furent mis au bénéfice d'une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Le requérant divorça en 1992.

Le 5 octobre 1994, le tribunal correctionnel de Lausanne condamna le requérant à deux ans de réclusion pour viol. Ce jugement fut confirmé le 5 octobre 1995 par la cour de cassation du canton de Vaud.

En 1995, le requérant se remaria avec une compatriote, laquelle avait déposé une demande d'asile en Suisse.

Le 2 avril 1997, l'office de contrôle des habitants et de police des étrangers du canton de Vaud refusa de renouveler l'autorisation de séjour du requérant, en application des articles 4, 9 § 2 b) ainsi que 10 § 1 a) et d) de la Loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (ci-après LSEE), et lui ordonna de quitter le territoire dès la fin de l'exécution de sa peine. En particulier, il estima que compte tenu de l'extrême gravité des faits pour lesquels le requérant avait été condamné, l'intérêt public à prononcer son renvoi primait l'intérêt privé de ses enfants à autoriser son séjour en Suisse ; il souligna en outre que le requérant était très endetté.

Par jugement du 10 octobre 1997, le tribunal administratif du canton de Vaud (ci-après le tribunal administratif) rejeta le recours interjeté par le requérant contre cette décision. Il souligna d'abord que conformément aux articles 1 , 4 et 16 LSEE, les ressortissants étrangers ne bénéficiaient d'aucun droit à l'obtention d'une autorisation de séjour. Il rappela ensuite que la question de savoir si les autorités de police étaient tenues d'accorder une telle autorisation fondée sur l'article 8 de la Convention devait être résolue sur la base d'une pesée de tous les intérêts privés et publics en présence et qu'à cet égard, l'article 10 § 1 LSEE mentionnait, parmi d'autres motifs d'éloignement à prendre en compte, la condamnation par une autorité judiciaire.

Concernant la situation personnelle du requérant, le tribunal administratif releva que ce dernier ne vivait plus depuis de nombreuses années avec ses deux enfants, lesquels n'étaient pas placés sous son autorité parentale, et que son épouse résidait en Suisse mais n'avait qu'un statut incertain, puisqu'elle était requérante d'asile. Par ailleurs, il observa que le requérant avait été condamné en novembre 1990 à cinq jours d'emprisonnement avec sursis pour ivresse au volant puis en octobre 1994 à deux ans de réclusion pour viol et estima que par son comportement, il avait démontré qu'il ne s'était pas adapté à l'ordre établi. Il souligna aussi que le requérant faisait l'objet de poursuites pour plusieurs dizaines de milliers de francs suisses.

Sur la base de ces considérations, le tribunal administratif conclut que le requérant avait démontré qu'il représentait un sérieux danger pour l'ordre et la sécurité publics et que son intérêt à rester en Suisse et a y maintenir des relations avec ses enfants ne l'emportait pas sur l'intérêt public à l'éloigner.

Par arrêt du 3 décembre 1997, le Tribunal fédéral déclara irrecevable le recours de droit administratif interjeté par le requérant contre ce jugement, aux motifs qu'il ne pouvait pas se prévaloir de l'article 8 de la Convention, les proches desquels il ne voulait pas être séparé, en l'occurrence son épouse et ses deux enfants d'un premier lit, ne bénéficiant pas d'une autorisation d'établissement ni d'un droit certain à une autorisation de séjour en Suisse. Il souligna qu'au demeurant, le recours aurait dû être rejeté, l'éventuelle atteinte au respect de la vie privée et familiale du requérant que constituait le refus de renouveler son autorisation de séjour étant justifiée au regard de l'article 8 § 2 de la Convention. A cet égard, il releva en particulier que le requérant avait subi une lourde condamnation pour viol, que la Commission de libération appelée à se prononcer sur son dossier n'avait pas exclu un risque de récidive et que, dans ces circonstances, la mesure incriminée n'apparaissait pas disproportionnée.
Le requérant fut libéré conditionnellement en janvier 1998 et, par décision du 14 mai 1998, l'Office fédéral des étrangers lui impartit un délai échéant le 30 juin 1998 pour quitter le territoire suisse.
B. Droit interne

Les dispositions pertinentes de la Loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 disposent :

Article 1 :

« Tout étranger a le droit de résider sur le territoire suisse s'il est au bénéfice d'une autorisation de séjour ou d'établissement (...) »
Article 4 :

« L'autorité statue librement, dans le cadre des prescriptions légales et des traités avec l'étranger, sur l'octroi de l'autorisation de séjour ou d'établissement (...) »

Article 9 § 2 :

« L'autorisation de séjour peut être révoquée :

(...)

b. Lorsque l'une des conditions qui y sont attachées n'est plus remplie ou que la conduite de l'étranger donne lieu à des plaintes graves ; (...) »
Article 10 § 1 :

« L'étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d'un canton que pour les motifs suivants :

a. S'il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ;
(...)

d. Si lui-même, ou une personne aux besoins de laquelle il est tenu de pourvoir, tombe d'une manière continue et dans une large mesure à la charge de l'assistance publique.

(...) »

Article 16 § 1 :

« Pour les autorisations, les autorités doivent tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays, ainsi que du degré de surpopulation étrangère. »

PROCEDURE

Par courrier daté du 30 avril 1998, le requérant demanda à la Commission européenne des Droits de l'Homme d'intervenir auprès du Gouvernement de la Suisse afin que celui-ci ne procède pas à son éloignement du territoire.
Le 7 mai 1998, le président en exercice de la Commission refusa de donner suite à cette demande.

Eu égard à l'entrée en vigueur du Protocole N° 11 à la Convention en date du 1er novembre 1998, la requête a été transférée à la Cour européenne des Droits de l'Homme.

GRIEFS

Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint de ce que le refus des autorités suisses de renouveler son autorisation de séjour constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale. A cet égard, il souligne que ses deux enfants bénéficient d'une autorisation de séjour pour motifs humanitaires en Suisse et allègue que, nonobstant l'attribution de la garde et de l'autorité parentale à leur mère lors du prononcé du divorce, il a conservé avec eux « un lien réel, effectif et profond » ; en particulier, il déclare voir régulièrement ses fils et leur verser une pension alimentaire.

Le requérant soutient en outre que la mesure est disproportionnée puisqu'il sera séparé de manière quasi définitive de ses enfants. Selon lui, en effet, il ne disposera pas, dans son pays d'origine, de moyens financiers suffisants pour se rendre en Europe ; au demeurant, il n'est pas certain de recevoir des autorités suisses les autorisations qu'il solliciterait pour rendre visite à ses fils. Il affirme aussi qu'il ne sera plus en mesure, depuis l'Erythrée, de verser la pension alimentaire qu'il est tenu de leur payer en vertu du jugement de divorce.

Le requérant ne nie pas avoir commis une infraction grave. Toutefois, il allègue que le refus de renouveler son autorisation de séjour constitue une seconde sanction, puisqu'il a déjà été condamné par le tribunal correctionnel de Lausanne à deux ans de réclusion ; à cet égard, il souligne que le juge pénal n'avait pas assorti la peine de l'expulsion. Il rappelle en outre qu'il a été libéré conditionnellement en janvier 1998, ce qui démontre qu'il ne représente pas un « risque grave pour la société », et déclare avoir retrouvé l'emploi qu'il occupait avant sa détention ; or, selon lui, les risques de récidive sont considérablement réduits lorsque les conditions de réinsertion sont bonnes.

Enfin, le requérant affirme ne plus avoir d'attaches dans son pays, qu'il a quitté depuis quinze ans, et être inséré socialement et professionnellement en Suisse.

EN DROIT

Le requérant se plaint de ce que le refus des autorités suisses de renouveler son autorisation de séjour a méconnu son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il invoque l'article 8 de la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

La Cour rappelle que bien que la Convention ne garantisse, comme tel, aucun droit pour un étranger d'entrer, de séjourner ou de s'établir dans un pays déterminé, le renvoi d'une personne d'un pays où vivent ses proches parents peut poser un problème au regard du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention.

Elle rappelle également que « dès l'instant et du seul fait de sa naissance, il existe entre (un enfant) et ses parents un lien constitutif de « vie familiale » (...) que des événements ultérieurs ne peuvent briser que dans des circonstances exceptionnelles » (Cour eur. D.H., arrêt Gül c. Suisse du 19 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, n° 3, pp. 173 et 174, par. 32 et 33) ; en particulier, le divorce n'est pas un élément susceptible, en soi, de rompre le lien de « vie familiale » unissant des parents à leurs enfants (Cour eur. D.H., arrêt Berrehab c. Pays-Bas du 21 juin 1988, série A n° 138, p. 14, par. 21).

En l'espèce, la Cour relève que le requérant a deux enfants nés d'un premier mariage, lesquels résident en Suisse où ils bénéficient d'une autorisation de séjour pour raisons humanitaires. Elle considère que, dans ces circonstances, le requérant peut prétendre à « un lien constitutif de vie familiale » et que la décision des autorités de ne pas renouveler son autorisation de séjour, dans la mesure où elle entraînera son départ de Suisse et, en conséquence, la séparation d'avec ses fils, s'analyse en une ingérence dans son « droit au respect de sa vie familiale ».
La Cour rappelle qu'une telle ingérence méconnaît l'article 8 sauf si, conformément au paragraphe 2 de cette disposition, elle est prévue par la loi, inspirée par un but légitime et nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ce dernier.

En l'espèce, elle observe que le refus de renouveler l'autorisation de séjour du requérant est fondé sur les articles 9 et 10 LSEE. Partant, la décision entreprise repose sur une base légale.

Elle note en outre que cette mesure vise notamment « la défense de l'ordre » et « la prévention des infractions pénales » et tend ainsi à des buts légitimes (Cour eur. D.H., arrêt Bouchelkia c. France du 29 janvier 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, n° 28, p. 64, par. 44).
Quant à la nécessité de l'ingérence, dans une société démocratique, la Cour rappelle que ce critère implique que la mesure contestée soit justifiée par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi. En matière d'immigration, les Etats contractants jouissent cependant d'une certaine marge d'appréciation (arrêt Bouchelkia précité, p. 65, par. 48).

En l'espèce, elle relève que le requérant, arrivé en Suisse en 1983 à l'âge de vingt-cinq ans, a vécu la plus grande partie de sa vie dans son pays d'origine et qu'il n'a bénéficié en Suisse que d'une autorisation de séjour provisoire pour raisons humanitaires, la demande d'asile qu'il avait déposée ayant été définitivement rejetée en 1990. Par ailleurs, elle observe que depuis le prononcé de son divorce en 1992, le requérant n'a plus la garde ni l'autorité parentale sur ses deux enfants. Enfin, elle accorde une importance particulière à la gravité de l'infraction à l'origine du refus de renouveler l'autorisation de séjour du requérant ; cette décision, en effet, a été prise à la suite de sa condamnation en octobre 1994 à deux ans de réclusion pour viol.

Dans ces circonstances, la Cour estime que les autorités internes, en refusant de renouveler l'autorisation de séjour, n'ont pas outrepassé les limites de leur marge d'appréciation en ménageant un juste équilibre entre l'intérêt général de la communauté et l'intérêt privé du requérant.
Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l'article 35 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

Erik FriberghChristos Rozakis

GreffierPrésident[Note3]
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[Note1]Attention, ne mettre que les initiales si non public. prénom et, en majuscules le nom de famille ; nom corporatif en majuscules ; pas de traduction des noms collectifs.

[Note2]Première lettre du pays en majuscule. Mettre l'article selon l'usage normal de la langue.

[Note3]On met aussi «Président(e)» si la présidence n'est pas exercée par le président de section (vice-président de section ou juge ayant préséance).
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 42127/98
Datum : 12. Januar 1999
Publiziert : 12. Januar 1999
Quelle : Entscheide EGMR (Schweiz)
Status : 42127/98
Sachgebiet : (Art. 8) Right to respect for private and family life (Art. 8-1) Respect for family life (Art. 8-2) Interference
Gegenstand : W.A. contre la SUISSE


Gesetzesregister
ANAG: 1  4  9  10  16
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