Bundesstrafgericht Tribunal pénal fédéral Tribunale penale federale Tribunal penal federal

Numéro de dossier: BK_B 229/04 - BB.2004.81

Arrêt du 23 février 2005 Cour des plaintes

Composition

Les juges pénaux fédéraux Emanuel Hochstrasser, président, Barbara Ott et Tito Ponti La greffière Claude-Fabienne Husson Albertoni

Parties

A.______,

plaignant

représenté par Mes Jean-Marc Carnicé et Stéphanie Godet Landry, avocatsFehler! Textmarke nicht definiert.,

contre

Ministère public de la ConfédérationFehler! Textmarke nicht definiert.

Objet

Refus du MPC de traduire des documents (art. 105bis PPF)

Faits:

A. A.______ fait l’objet d’une enquête de police judiciaire pour participation ou soutien à une organisation criminelle et blanchiment d’argent. La procédure, qui concerne plusieurs inculpés de langues différentes, est conduite en allemand.

B. Le 30 novembre 2004, A.______ a, à l’instar d’autres inculpés, demandé qu’un certain nombre de documents dont il a produit la liste lui soient traduits dans sa langue maternelle (BK act. 1.16). Par courrier du 7 décembre 2004, il a précisé qu’une traduction écrite lui paraissait plus appropriée, mais qu’il pourrait se contenter d’une traduction orale s’il lui était possible de la reproduire sur un support écrit ou audio (BK act. 1.21).

C. Le 16 décembre 2004, le Ministère public de la Confédération (ci-après: MPC) a rendu une ordonnance par laquelle il rejetait les requêtes tendant à la traduction des pièces rédigées dans une langue nationale. Chaque inculpé est assisté d’un traducteur lors de ses interrogatoires et ses déclarations consignées en allemand. Cette assistance ne s’étend pas aux pièces que la connaissance, à tout le moins passive des langues nationales que l’on est en droit d’attendre d’un avocat exerçant sur le plan fédéral, devrait suffire à expliquer à son client (BK act. 1.1).

D. Par acte du 24 décembre 2004, A.______ se plaint de l’ordonnance précitée. Il conclut à ce que l’ensemble des pièces fassent l’objet d’une traduction en français, par écrit ou de tout autre manière, subsidiairement que les passages importants pour lui, à charge ou à décharge, lui soient traduits, en tout état de cause qu’il soit ordonné au MPC de rédiger en français tous les actes de procédure le concernant personnellement. Invoquant la décision rendue le 16 novembre 2004 par le Tribunal pénal fédéral (BK_B 153/04), il estime que les explications que son défenseur devrait pouvoir lui donner ne concernent que les actes de procédure, à l’exclusion des pièces du dossier, lesquelles doivent faire l’objet d’une traduction (BK act. 1).

E. Dans sa réponse du 20 janvier 2005, le MPC réfute ces arguments. Les exigences en matière de traduction ne sont selon lui pas aussi étendues au stade de l’enquête préliminaire que lors d’une instruction préparatoire ou des débats. Il ressort de plus de l’enquête que A.______ dispose de bonnes connaissances de l’italien et d’une connaissance à tout le moins minimale de l’allemand. Selon un extrait du site Internet de son étude, son défenseur parle, en plus du français, l’italien, l’espagnol et l’anglais. Le dossier comprend plusieurs centaines de classeurs. Traduire l’ensemble des pièces dans différentes langues représenterait un travail disproportionné et aurait pour conséquence de ralentir la procédure (BK act. 5).

La Cour considère en droit:

1. Les opérations et les omissions du procureur fédéral peuvent faire l’objet d’une plainte à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (art. 105bis al. 2 , 214 à 219 PPF, 28 al. 1 let. a LTPF). Adressée à l’autorité compétente le 24 décembre 2004 contre une ordonnance rendue le 16 et reçue le 22, la plainte respecte le délai de cinq jours prévu par l’art. 217 PPF, ap­plicable par renvoi de l’art. 105bis al. 2 PPF (ATF 130 IV 43, consid. 1.3, p. 45, 46).

2. L’inculpé se plaint du refus du MPC de lui fournir une traduction française des procès-verbaux d’interrogatoire des inculpés et d’audition des témoins et personnes entendues aux fins de renseignements, des rapports intermédiaires de la police judiciaire fédérale, des demandes de confirmation de détention, ainsi que des jugements et autres décisions, tout au moins des passages essentiels, si ce n’est par écrit, d’une manière lui permettant de reproduire la traduction sur un support écrit ou audio.

2.1 Dans une précédente décision, la Cour des plaintes a rappelé le droit de l’inculpé d’obtenir la traduction des pièces dont la compréhension lui est nécessaire pour garantir un procès équitable, tout en soulignant le fait que la traduction n’a pas nécessairement à être écrite, qu’elle peut se limiter aux passages pertinents pour la défense et que les pièces du dossier peuvent lui être expliquées par l’avocat, lequel est censé comprendre les langues nationales (arrêt du 16 novembre 2004 BK_B 153/04 consid. 2.3 à 2.4).

2.2 L’art. 6 § 3 let. e CEDH s’applique de la même manière à tous les stades de la procédure pénale. S’il est vrai que, souvent, c’est lors des débats, respectivement devant le juge d’instruction, que l’analyse des éléments de l’enquête est appelée à se faire avec le plus d’acuité, il reste que l’enquête de police judiciaire joue un rôle déterminant quant à l’orientation que peut prendre la procédure. Selon le résultat de l’enquête, le MPC peut requérir le juge d’instruction d’ouvrir une instruction préparatoire (108 PPF), suspendre la procédure (106 PPF) ou encore déférer la cause aux autorités cantonales (107 PPF). Dans tous les cas, il peut être capital pour l’inculpé qui conteste les faits dont il est accusé de convaincre le MPC de sa bonne foi au stade des recherches de police judiciaire déjà et d’éviter ainsi l’ouverture d’une instruction préparatoire, respectivement un renvoi devant l’autorité de jugement. Il importe dès lors qu’il comprenne l’ensemble des pièces qui composent le dossier pendant cette phase de la procédure et non seulement celles qui seront en fin de compte retenues à titre de preuves à un stade ultérieur. Vu les récentes adaptations de la loi sur la procédure pénale fédérale, l’avis exprimé par Patrick Wamister (Die unentgeltliche Rechtspflege, die unentgeltliche Verteidigung und der unentgeltliche Dolmetscher unter dem Gesichtspunkt von Art. 4 BV und art. 6 EMRK, Diss. Basel, 1983, p. 146 in fine), selon lequel le droit à un interprète est également valable pour la phase de l’instruction préparatoire, doit à l’heure actuelle, indubitablement s’étendre à l’enquête de police judiciaire conduite par le MPC.

2.3 Le dossier comprend plusieurs centaines de volumes, constitués de pièces établies dans les trois langues nationales, l’anglais et le serbo-croate. Les documents dont le plaignant sollicite la traduction remplissent à eux seuls une bonne dizaine de classeurs fédéraux. La plupart des pièces sont rédigées dans une langue nationale et écrites dans un style simple, proche du langage parlé. Il n’y a pas de document présentant une complexité particulière de par le style utilisé ou le contenu, par exemple, un rapport d’expertise dont la terminologie et le raisonnement seraient difficilement accessibles à un non initié et plus encore à une personne ne possédant pas la langue dans laquelle il serait rédigé. Il n’est donc pas concevable d’exiger que l’ensemble de ces pièces fassent l’objet d’une traduction dans la langue de chaque inculpé, y compris ceux dont la langue maternelle n’est pas une langue nationale, et encore moins que la traduction soit écrite. La jurisprudence ne reconnaît d'ailleurs pas le droit de se voir traduire toutes les pièces du dossier, ce qui aurait pour conséquence de compliquer et d'alourdir sans raison la procédure (ATF 118 Ia 462 consid. 2a et 2b; arrêt du Tribunal fédéral 4P.154/2002 du 17 septembre 2002). Il reste que l’inculpé a le droit de comprendre par lui-même les éléments à charge et à décharge et qu’on ne saurait exiger de lui qu’il puisse saisir sans autre le sens de tous les documents qui figurent au dossier (Thomas Braitsch, Gerichtssprache für Sprachunkundige im Lichte des « fair trial », Frankfurt am Main 1991, p. 171-172).

2.4 Tout autre est la situation du défenseur. Pour pouvoir défendre efficacement son client, l’avocat doit procéder à une étude approfondie du dossier. De même que le MPC s’est fait traduire certaines pièces à l’interne, il appartient au défenseur de s’organiser au sein de son étude pour être en mesure de comprendre l’ensemble des documents mis à sa disposition, au besoin en faisant appel à ses associés ou collaborateurs dont les connaissances linguistiques s’étendent à plusieurs langues, comme l’affiche le site Internet de l’étud, et comprennent notamment les trois langues nationales. La bonne connaissance du dossier par le défenseur, qui découle d’un mandat remontant à l’époque des investigations menées par les autorités italiennes, est également de nature à compenser ses éventuelles lacunes sur le plan de la langue.

2.5 Il reste à déterminer quelles sont les connaissances linguistiques du plaignant. L’affirmation de ce dernier, selon laquelle il n’aurait de façon générale aucune connaissance des langues allemande et italienne, paraît bien peu crédible.

En ce qui concerne l'italien et comme le relève le MPC, l’inculpé semble avoir rédigé lui-même des lettres dans cette langue et a échangé des correspondances avec des partenaires ne s’exprimant pas en français (BK act. 5.13 à 5.15). Il a travaillé longtemps avec l’étranger et, plus particulièrement, dirigé des sociétés implantées au Tessin (arrêt BK_H 142/04 du 29 septembre 2004 consid. 2.2 et BK act 5.13 à 5.15). Il est donc très probable que ses connaissances linguistiques sont plus étendues que celles qu’il veut bien admettre et qu’il dispose en particulier de bonnes connaissances de l’italien. Il ne sera dès lors pas donné une suite positive à sa requête en tant qu’elle se rapporte à la traduction des pièces rédigées en italien, langue dans laquelle, de plus, son défenseur affiche son aptitude à exercer son activité professionnelle. Dans la mesure où l’avocat est appelé à discuter des éléments à charge et à décharge avec son client pour élaborer sa stratégie, les incompréhensions éventuelles du plaignant peuvent donc aussi être levées à l’occasion d’une étude conjointe du dossier.

En ce qui concerne l'allemand, par contre, rien n’indique que le plaignant, qui est de nationalité française et n’a donc probablement pas étudié cette langue à l’école, disposerait de connaissances suffisantes. La maîtrise à tout le moins passive des langues par son avocat (arrêt du Tribunal fédéral 1A.235/2003 du 8 janvier 2004 consid. 1) devrait lui permettre d’expliquer dans les grandes lignes à son client ce qu’il ne comprendrait pas de lui-même. On admettra volontiers, néanmoins, qu’un rapport de police ou d’autres pièces, par exemple celles destinées à décrire le cheminement des fonds ou les activités des acteurs de la contrebande, puissent être des documents essentiels et comporter des passages difficiles dont une compréhension sans équivoque est nécessaire à l’inculpé pour aider son mandataire à élaborer sa défense. Pour éviter d’éventuels malentendus, la Cour de céans a, dans son arrêt du 16 novembre 2004 précité, réservé que, « si certaines pièces essentielles ne sont pas suffisamment compréhensibles, il appartient au MPC de mettre un traducteur à la disposition de l’inculpé et de son défenseur pour assurer à ces derniers une bonne compréhension du dossier » (consid. 2.3). Ce besoin pourrait être comblé par la mise à disposition d’un traducteur qui aurait pour tâche d’expliquer au plaignant, en présence de son avocat, à une date à fixer d’entente avec ces derniers, l’ensemble des passages sensibles que défenseur et inculpé auraient eu au préalable soin de mettre en évidence. Sans engager des frais disproportionnés ni provoquer de retards dans le déroulement de l’enquête, cette formalité, qui ne devrait pas excéder quelques heures et pourrait se dérouler dans les locaux du MPC, permettrait de mettre sur un pied d’égalité tous les inculpés quelle que soit leur langue; ils seraient ainsi en mesure d’atteindre le même degré de compréhension du dossier. Rien n’empêcherait le défenseur d’enregistrer les traductions sur un dictaphone ou tout autre appareil, puis de les retranscrire plus tard à son étude. La plainte est dès lors admise sur ce point.

L'inculpé est invité à déterminer quelles sont les pièces en allemand (ou passages de celles-ci) - qu'elles aient été rédigées ou traduites dans cette langue – qu’il considère comme essentielles et dont il demande la traduction, puis à en informer le MPC, lequel prendra les mesures adéquates au sens de ce considérant.

3. Le plaignant estime que les actes de procédure qui le concernent personnellement doivent être rédigés en français. Cette solution lui simplifierait certainement la tâche et celle de son défenseur, mais elle engendrerait à terme une confusion et un surcroît de travail susceptibles de nuire aussi bien à la clarté du dossier qu’à la célérité de l’enquête. Chaque intéressé pouvant faire valoir les même exigences, le dossier se composerait de pièces en diverses langues que tous ne comprendraient pas, ce qui, de ce fait, nécessiterait de nouvelles traductions. La langue de la procédure a été fixée: il s’agit de l’allemand. Une telle décision, indispensable en cas de pluralité d’inculpés parlant des langues différentes, guide notamment le choix des défenseurs d’office et permet une certaine constance dans la conduite de l’enquête. Si un acte de procédure doit être accompli en un endroit où la langue n’est pas la même que celle de la procédure, celui-ci sera accompli dans la langue du lieu. Ce principe, qui est conforme à une jurisprudence récente du Tribunal fédéral (arrêt 1S.6/2004 du 11 janvier 2005 consid. 2.4) a d’ailleurs été observé par le MPC lors des opérations qui ont accompagné l’arrestation du plaignant sur territoire vaudois en été 2004. On ne saurait exiger plus.

La plainte est rejetée sur ce point.

4. Selon l'article 245 PPF, les frais et les dépens liés à la procédure judiciaire sont déterminés selon les art. 146 à 161 OJ. Selon l'article 156 al. 1 OJ, en règle générale, les frais judiciaires sont mis à la charge de la partie qui succombe. En l'occurrence, le plaignant ayant obtenu partiellement gain de cause, des frais réduits sont mis à sa charge à hauteur de Fr. 1'000.--, à déduire de l'avance de frais dont il s'est acquitté. Le solde de Fr. 1'000.-- lui est restitué et une indemnité de Fr. 800.--, à la charge du MPC, lui est octroyée à titre de dépens (art. 1 al. 2 du règlement du 11 février 2004 sur les dépens et indemnités alloués devant le Tribunal pénal fédéral, RS 173.711.31).

Par ces motifs, la Cour prononce:

1. La plainte est partiellement admise au sens des considérants.

2. Un émolument de Fr. 1'000.-- est mis à la charge du plaignant, à déduire de l'avance de frais dont il s'est acquitté, le solde de Fr. 1'000.-- lui étant restitué.

3. Une indemnité de Fr. 800.--, à la charge du Ministère public de la Confédération, est allouée au plaignant à titre de dépens.

Bellinzone, le 1er mars 2005

Au nom de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral

Le président: La greffière:

Distribution

- Mes Jean-Marc Carnicé et Stéphanie Godet Landry, avocats

- Ministère public de la Confédération

Indication des voies de recours

Cet arrêt n’est pas sujet à recours.

Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : BB.2004.81
Datum : 23. Februar 2005
Publiziert : 01. Juni 2009
Quelle : Bundesstrafgericht
Status : Unpubliziert
Sachgebiet : Beschwerdekammer: Strafverfahren
Gegenstand : Refus du MPC de traduire des documents (art. 105bis PPF)


Gesetzesregister
BStP: 105bis  214  217  219  245
OG: 146  156  161
BGE Register
118-IA-462 • 130-IV-43
Weitere Urteile ab 2000
1A.235/2003 • 1S.6/2004 • 4P.154/2002
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